lundi 9 janvier 2012

"Le rat est l'avenir de l'homme".

Rassurez-vous, ce titre n'est pas emprunté à une nouvelle chanson de Jean Fait-rat, mais un slogan que l'on trouve dans le courant du roman "L'année du rat", de Régis Descott (Lattès). Un thriller d'anticipation très différent de ce que nous a proposé Descott jusque-là, avec des thrillers psychiatriques passionnants. Là, dans "l'année du rat", la folie est ambiante, ce qui n'est guère plus rassurante... Un thriller efficace, qui ne révolutionne pas le genre mais qui procure un bon moment de lecture, malgré une fin un peu conventionnelle.


Couverture L'année du rat


Dans un futur proche, le monde a été bouleversé par le Troisième Conflit, un évènement que l'on comprend peu à peu avoir été une guerre de religion très violente. La pollution est devenue très dense dans les pays développés au point que certains habitants doivent vivre en permanence avec des bouteilles d'oxygène sur eux. Le choc conjugué de ces évènements a provoqué un violent rejet de la mort dans la société occidentale et la science a pris une place énorme afin de retarder cette échéance fatidique.

Des laboratoires pharmaceutiques proposent désormais des produits miracles permettant de retarder le vieillissement du corps, aussi bien en apparence que physiologiquement. Des remèdes à base de manipulations génétiques qui coûtent très cher et ne sont donc accessibles qu'à un certain nombre de privilégiés. Quant aux laboratoires, ils ont profité au maximum de cette nouvelle obsession pour ces nouvelles fontaines de jouvence et sont devenus des puissances économiques phénoménales, aussi intouchables que peu soucieux de déontologie.

Chim' est flic au sein de la BRT, la Brigade de Recherche et Traque. Un flic intègre dans un monde de corruption. Un flic compétent et réfléchi dans un univers où la force et la violence sont devenues les principaux arguments policiers. Un flic à part qui vit seul depuis que sa compagne, Véra, l'a quitté, quelques années plus tôt, ne lui laissant, en cadeau de départ, qu'un rat domestique dans une cage...

Mais, ce soir-là, Junior, le rat, est mort. De sa belle mort, rien d'inquiétant a priori. Mais, cela vient résonner avec une prédiction que lui a faite une vieille chinoise, au soir du départ en retraite d'un de ses collègues. "Aujourd'hui, la mort a pénétré chez toi"... Une prédiction qui laisse entendre que cette année ne sera pas une sinécure pour Chim'...

Bien sûr, il n'y croit pas, mais retrouver Junior, son seul compagnon véritable compagnon depuis 4 ans, mort, ça fait un choc. Dans la foulée, son chef, Colefax, une espèce de brute à l'autorité incontestable et aux méthodes expéditives, lui confie une enquête délicate : un septuple meurtre, d'une violence inouïe, dans une ferme isolée de Normandie. La mort étant "effacée" de la vie quotidienne, ce genre de faits divers fait tache et doit, évidemment, être traité au plus vite et dans la plus grande discrétion.

Mais, très vite, les premiers indices que Chim' récolte sur les lieux du carnage (indices qui prouvent que plusieurs individus ont participé à la tuerie) vont lui faire sentir que cette affaire est bien plus complexe que celles que l'on peut tranquillement balayer sous le tapis. Alors, il se lance à corps perdu dans cette enquête, contre vents et marées, dérangeant au passage des puissances qu'il conviendrait de ménager. Bref, il agit comme quelqu'un qui n'a plus rien à perdre.

Guidé par la seule soif de comprendre pourquoi 7 personnes sans histoire ont été massacrées, il va s'orienter vers une piste délirante : celle de la génétique et de manipulation pas franchement réjouissantes. Et, dès cet instant, une seule question va tarauder Chim' jusqu'à ce qu'il réussisse à l'étayer : les tueurs qu'il poursuit sont-ils vraiment des hommes ?

Agissant bientôt en franc tireur, lâché par sa hiérarchie qui s'est fait remonter les bretelles à cause de son enquête, Chim' va tout mettre en oeuvre pour remonter la piste des tueurs mais aussi de ceux contre qui ils ont décidé de se rebeller.

Pour cela, il va voyager jusqu'en Norvège, afin d'y rencontrer des spécialistes capables d'éclairer sa lanterne et d'accréditer ses hypothèses démentes, il va plonger sous la Manche pour s'introduire dans un site ultra-sensible, gueule du loup (ou du rat) mais clef de son enquête, avant d'affronter un apprenti sorcier terriblement puissant...

Une puissance qui l'englobera quand il comprendra que, lui aussi, n'est qu'un jouet, une pièce sur un échiquier aussi gigantesque qu'effrayant. Et que, au final, c'est après lui-même qu'il a couru, qu'il a pris autant de risques.

Il est amusant de voir qu'après "Obscura", son précédent roman, qui se déroulait à la fin du XIXème siècle, Descott a cette fois choisi de nous emmener dans le futur. Pour cela, l'auteur fait vibrer la corde sensible des peurs modernes de notre société pour fonder sa première incursion dans le thriller d'anticipation : choc des civilisations, pollution incontrôlable, manipulations génétiques... Pas forcément de grandes nouveautés dans les thématiques et les problématiques abordées, mais Descott sait faire dans l'efficacité. Ses scènes d'action s'enchaînent et le lecteur se retrouve embarqué à tout berzingue dans cette enquête et dans ce cauchemar qui se dessine progressivement.

Ajoutez à cela une figure tutélaire qui ne rassure guère, par ses nombreuses symboliques pas toujours reluisantes : le rat. Il est partout, omniprésent du début à la fin du livre, s'insinuant comme sait si bien le faire cet animal, dans tous les recoins, toutes les fissures, tous les conduits d'évacuation, toutes les galeries que nous sommes amenés à croiser à la suite de Chim'.

Mais ce n'est pas en chat que Chim' va devoir se métamorphoser (métaphoriquement parlant, bien sûr) mais bel et bien se mettre lui aussi à penser comme le ferait le rongeur afin d'anticiper les faites et gestes d'adversaires imprévisibles et sournois (qu'il s'agisse des tueurs, d'ailleurs, comme de ceux qui tirent les ficelles, ou croient les tirer).

Chim', dès le moment où Colefax lui confie cette affaire, est fait comme un rat, selon l'expression bien connue. Il a pénétré dans un labyrinthe dont l'issue ne pourra que lui déplaire... Et, l'analogie entre Chim' et le rat va se prolonger tout au long de l'histoire, dans une construction très habile et qui reste efficace même si  l'on peut pressentir en partie le dénouement. Seule différence, mais elle est de taille, Chim' est seul et solitaire, même si on peut croire que cette solitude n'a pas toujours été choisie. Or, le rat est un animal des plus sociables qui agit en meute. Comme si l'individualisme était devenu la seule chose différenciant l'être humain de l'animal...

Descott, lui, a fait appel à quelques grands anciens en référence : HG Wells ("l'île du Docteur Moreau", pour les manipulations génétiques, plus utilitaires toutefois que chez Wells, où elles avaient avant tout un côté "décoratif"), George Orwell ("1984" ; Descott nous emmène dans un monde paranoïaque, fliqué à l'extrême, utilisant une novlangue pour cacher ce qui déplaît, comme le mot effacement qui a remplacé les mots mourir ou tuer) ou encore Daniel Keyes ("des fleurs pour Algernon", sauf que Charlie et Algernon pourraient bien n'être qu'un seul et même être coincé dans le labyrinthe de son existence).

J'ai aimé le rythme très rapide et très prenant de ce thriller que j'avais envie de lire depuis un certain temps, puisque Descott est un auteur que je surveille... Malgré tout, j'ai trouvé la fin assez conventionnelle, presque moralisatrice, là où le sujet pouvait laisser entrevoir une fin dramatique... Bizarrement, alors que Descott envisage apparemment notre avenir d'un oeil sombre et franchement pessimiste, il semble ne pas pouvoir s'empêcher de conserver une étincelle d'optimisme, de confiance en l'Homme qui lui permet d'alimenter la petite lueur au bout du tunnel.

Pour autant, on peut aussi interpréter différemment cette fin et y voir la fin d'une civilisation et l'avènement d'une nouvelle société placée sous le signe du rat... Comme si "l'année du rat" qui sert de titre au roman, n'était que l'année zéro de l'ère du rat...

Mais cette thèse est une extrapolation personnelle, Descott jouant l'ellipse sur certains évènements se déroulant en parallèle de l'enquête de Chim', presque comme s'il s'agissait d'une autre histoire. Une autre histoire qui lorgnerait du côté de l'oeuvre d'un Pierre Boulle, par exemple...

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