vendredi 13 janvier 2012

Les vieux de la vieille 2, le retour.

Une nouvelle sortie aux éditions Héloïse d'Ormesson en ce début d'année et deuxième roman pour Viviane Chocas, plus de 5 ans après l'excellent "Bazar Magyar" (que je recommande vivement, surtout si vous êtes, comme moi, un incorrigible gourmand). Et pour ce deuxième livre, Viviane Chocas a choisi un titre qui devrais en intriguer plus d'un : "Je vais beaucoup mieux que mes copains morts"... Tout un programme pour une histoire qui devrait, enfin je l'espère, vous mener du rire aux larmes, grâce à une histoire qui oscille entre loufoquerie et drame.


Couverture Je vais beaucoup mieux que mes copains morts


Blanche a 27 ans. Cette jeune femme, dont on sait peu de choses de prime abord, est embauchée par une maison de retraite, la Maison des Roses, pour y proposer aux résidents, un atelier d'écriture. Les débuts sont pour le moins... poussifs. Peu de participants, une motivation minimale, une adhésion au projet toute relative. Pas de quoi réjouir la jeune femme qui ne ménage pourtant pas ses efforts.

Des efforts qui, petit à petit, vont finir par payer. Blanche gagne la confiance de la petite dizaine de fidèles qui reviennent régulièrement participer à son atelier et commencent à sortir de leur torpeur. Pardonnez-moi ce mot, ne l'interprétez surtout pas mal, Blanche apprivoise ces vieillards usés, abîmés par la vie et par l'âge, échoués dans cet établissement-mouroir comme des baleines sur un rivage.

D'ailleurs, pendant toute la première partie du roman, Blanche est la seule qui parle, se faisant, non l'interprète, mais le haut-parleur de ces vieux et de ces vieilles, venus d'horizons complètement différents. Un style particulier, parce qu'indirect, on se sent presque comme faisant partie de ce groupe de résidents, sensations bizarres...

Peu à peu, donc, Blanche réussit à faire s'ouvrir ces personnes devenues comme léthargiques, presque déjà mortes avant l'heure. Elle arrive à les faire parler d'eux, de leur vie passée, de leurs souvenirs... Elle les réveille de ce sommeil éternel qui semblait déjà les envelopper et leur redonne un but, un avenir, ramène littéralement à la vie ces Beaux et Belles au Bois Mourant.

Mais Blanche aussi, à leur contact, se sent revivre : son père est parti quand elle avait 5 ans, sa mère, jamais remise de ce départ, est morte 5 ans plus tôt, bref, c'est une famille, une tribu que reconstitue plus ou moins la jeune femme avec ce groupe de vieilles branches, fragiles mais pas brisées.

Ce qu'elle n'imagine pas, c'est qu'elle va aussi réveiller en eux un vent de révolte puissant dont elle va être la première "victime", emportée comme la Dorothy du Magicien d'Oz dans une aventure sur une route de briques vermeilles (comme la carte). Voilà que ces vieux s'animent soudain, une idée ancrée dans leurs vieilles caboches encore en état de fonctionnement. Ils reprennent même la parole, à partir de là, redevenant des êtres humains autonomes dotés d'une raison propre et de projet, de joie de vivre et de désirs.

Kidnappée par ces vieilles ganaches décidément pleines de ressources, voilà notre Blanche au volant d'un improbable fourgon, embringuée malgré elle (ou pas) dans une quête aléatoire, folle, illusoire et pourtant si forte de symboles. Une quête qui, après quelques péripéties, va lui permettre, à son tour, de renouer avec son douloureux passé familial.

Arrêtons-nous un instant sur Blanche. Elle aussi est blessé, je vous ai expliqué l'origine de ses blessures. Mais il en a résulté un vrai traumatisme qu'elle essaye de guérir en refusant tout attachement. Elle va d'aventure sans lendemain en aventure sans lendemain, cherchant d'abord une jouissance physique mais pas de sentiment, surtout pas.

On ne sait rien de sa vie en dehors de l'atelier d'écriture et des journées de travail à la Maison des Roses. On la voit juste profiter de moments torrides en compagnie d'un homme dont on ne connaîtra même jamais le prénom, dans une relation exclusivement physique jusqu'à ce qu'elle aussi, sans doute réveillée elle aussi à la vie par son aventure forcée avec ses élèves, ne prenne conscience qu'elle ne peut se satisfaire seulement de sexe, que la jouissance ne comble pas tous ses manques.

Idem pour son passé, trop longtemps laissé dans l'ombre. La rébellion de ses têtes chenues sera le déclic pour enfin oser regarder sa complexe vie de famille en face et cesser de jouer les autruches. Pour elle aussi, après sa rencontres avec ces vieillards pas si indignes que ça, bien au contraire, la vie va recommencer, sur de nouvelles bases, pour profiter, on l'imagine, d'un avenir plus serein (mais, ça, c'est une autre histoire)...


Et, si elle pourrait être la petite-fille, voire l'arrière-petite-fille de certains de ceux qu'elle appelle "ses ouailles, ses élèves, ses enfants, ses compagnons de cavale", on lui découvre beaucoup de points communs avec eux. Ou en tout cas avec celle qui s'est le plus dévoilée, Renée, nonagénaire décomplexée, femme au combien moderne pour son temps, libre, émancipée mais si seule désormais.

Car, la solitude, voilà la mal le plus violent qui frappe à la lecture de ce livre. Bien plus que le déclin physique dû au grand âge, bien plus que les soucis du quotidien quand on entre dans le troisième et même le quatrième âge. Oui, l'ennui, la solitude, voilà ce qui les bouffe, ces vieux. Ce que Blanche va leur apporter, c'est la possibilité de communiquer, et de communiquer entre eux, avant tout, compagnons de galère qui, finalement, vivaient ensemble sans vraiment s'en rendre compte, sans se connaître, murés dans le silence, presque coupables d'être encore de ce monde.

Blanche aussi est seule, mal à l'aise dans son époque, son monde. Prisonnière de son passé, jamais tournée vers son avenir. C'est justement Renée, la doyenne du groupe, mais aussi la plus riche, tant sur un plan social et matériel, qu'en terme d'expériences de vie, qui va lui faire comprendre qu'elle aussi doit retrouver le désir. Pas seulement le désir physique (qui ne disparaît pas avec l'âge, lui explique Renée, mais qui devient tabou, impossible), mais aussi le désir de vivre, de se projeter dans l'avenir, d'aller de l'avant quand il en est encore temps.

Voilà la leçon principale que j'ai retenue de ce livre. Un "Carpe Diem" non plus inculqué aux élèves adolescents d'un quelconque club de poésie mais par des aînés membres d'un improbable atelier d'écriture... "Je vais mieux que mes copains morts" est un roman qui fait du bien, dont on ressort avec le sourire, même si  l'on passe, pendant la lecture, d'un bout à l'autre de la palette des émotions...

Le titre de ce billet renvoie au film de Gilles Grangier, dans lequel Gabin et Fresnay cabotinaient joyeusement et j'ai retrouvé ce pétillement, cette malice dans la partie du livre où nos vieux prennent la poudre d'escampette. Mais, la première partie, avec ces êtres inanimés dont on se demande s'ils ont encore une âme, est dure, déroutante, tandis que la dernière partie, révélation du passé de Blanche, est carrément bouleversante.

Dommage, j'aurais aimé revoir les vieux une dernière fois avant la fin du livre, savoir si leur relation avec Blanche pourrait se poursuivre. Mais, j'ai cru comprendre que leur réveil n'était pas éphémère et qu'ils allaient probablement encore en faire voir des vertes et des pas mûres au personnel de la Maison des Roses. Vieilles ganaches ou vieux potaches ?

Viviane Chocas, elle, signe un deuxième roman dans lequel j'ai retrouvé la même sensualité qui m'avait tant plus dans son premier livre. Dans "Bazar Magyar", c'était par la nourriture que cette sensualité s'exprimait, ici, elle est beaucoup plus charnelle, mais elle s'incarne aussi dans la joie d'être en vie, dans la volupté qu'il y a à être vivant.

Ce livre vous surprendra sûrement tant par sa forme que par son fond, mais c'est une lecture qui ne vous laissera pas de marbre et qui vous donnera un coup de fouet salutaire, un bol d'optimisme tout à fait bienvenu par les temps qui courent.

2 commentaires:

  1. Le titre est pour le moins cocasse, et ça me suffit parfois à acheter un livre... Avec en prime "La vieillesse a de l'avenir" sur la 1ère de couverture et ce livre a tout pour me plaire... Espérons qu'il tient ses promesses :)

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  2. J'essaye sur ce blog de donner un ressenti, il ne m'appartient pas de dire "c'est bien/c'est pas bien", ni de distribuer des notes comme si j'étais professeur et les auteurs mes élèves... Je ne sais que si j'ai passé un bon moment de lecture, ce qui ne garantit en rien le plaisir des autres, mais il faut aussi savoir prendre des risques, non ?

    Ce livre sera forcément appréhendé différemment par d'autres lecteurs, j'imagine déjà quel genre de critiques on peut émettre, mais rien ne vaut un ressenti personnel sur une lecture.

    J'ai aimé, j'espère que tu aimeras et que tu reviendras alors m'en dire un mot. Ou alors, me dire que je suis le pire des blogueurs de la toile à vanter les mérites de livres comme celui-là, mais je suis confiant ;-)

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