jeudi 1 mars 2012

"Le but même de l'art est d'immortaliser l'éphémère" (Dominique Fernandez).

J'aime beaucoup lire des romans qui ont pour sujet central les peintres ou la peinture. Que ces peintres et peintures aient existé, ou non, même si, dans le premier cas, le plaisir vient aussi de pouvoir regarder les oeuvres en cours de lecture. Pas étonnant, donc, de retrouver en titre de ce billet, une phrase de Dominique Fernandez, dont je vous conseille la remarquable biographie romanesque du Caravage, "la course à l'abîme". Refermons cette parenthèse pour s'intéresser à un livre où il est donc beaucoup question de peinture et de tableaux qui viennent contredire la phrase de Fernandez. Et surtout, d'un mystérieux modèle qui défie (voire abolit) l'entendement... Il s'agit d'un roman fantastique signé par une auteure d'origine vietnamienne, de langue française, Thanh-Van Tran-Nhut, et s'intitule "la femme dans le miroir" (disponible en poche chez Pocket).


Couverture La femme dans le miroir


Adrien exerce la profession de traducteur. Il est spécialiste de la traduction de l'oeuvre du poète Hafez, un poète du XIVème siècle, un des plus grands auteurs de langue persane. Mais, depuis 6 mois, Adrien traverse une mauvaise passe. Le décès brutal de son épouse, Emma, l'a laissé dans un état de profonde dépression.

6 mois à s'apitoyer sur son sort, c'en est assez. Adrien décide de reprendre sa vie en main. Et c'est avec Léna, la meilleure amie du couple qu'il formait avec Emma, qu'il retrouve le monde des vivants. Et comme la demoiselle est une spécialiste de l'expertise des tableaux, c'est tout naturellement qu'elle emmène Adrien, pour sa première sortie post-dépression, dans une galerie d'art.

Alors qu'il flâne dans la galerie, Adrien tombe en arrêt devant deux vanités, peintes par un obscur maître hollandais, Pieter Haussen. La première est datée de 1620, l'autre ne porte aucune indication chronologique. Mais, Adrien comme Léna en sont sûrs, c'est la jeune femme qui a servi de modèle au peintre pour ces deux tableaux. Et c'est en la voyant que le jeune homme a ressenti un déferlement d'émotions. Elle semble avoir eu un effet quasi magnétique sur le garçon, sans qu'il puisse vraiment s'expliquer pourquoi.

Peu à peu, il reprend sa vie, oublie la galerie, les vanités et le modèle. Jusqu'à ce qu'on dépose devant chez lui une invitation à visiter une galerie d'arts. Pas la même que celle qu'il a déjà visitée en compagnie de Léna. L'idée lui semble amusante, un clin d'oeil à cette sortie qui a marqué le retour au beau fixe. La galerie en question tient plus d'un magasin d'antiquités, voire d'un capharnaüm, que d'un lieu d'exposition. Pourtant, Adrien va y découvrir un tableau qui va le bouleverser (et avoir des conséquences fondamentales sur son existence) : sur cette toile, pas de toute, est représentée la même femme que sur les vanités.

Plus il observe ce tableau de près, plus il est persuadé qu'il s'agit bien de la même personne. Or, c'est tout bonnement impossible : cette nouvelle toile est signée par un peintre suisse oublié et datée de... 1925. Soit 3 siècles après les peintures de Haussen...

Adrien veut absolument comprendre comment cette jeune femme a pu être peinte à 300 ans d'écart par deux peintres... Et comme les analyses scientifiques que réalisent Léna pour mettre en évidence une possible supercherie ne viennent que confirmer les certitudes d'Adrien, il se lance à coeur perdu dans une enquête approfondie pour découvrir les secrets de cette mystérieuse femme.

Une enquête qui, bien vite, va entraîner le garçon sur des voies de plus en plus étranges, tandis que tout sa vie prend un tour de plus en plus irrationnel. Mais ni lui, ni le lecteur, ne se rend compte tout de suite que ce qui se passe a cessé d'être tout à fait normal. Une fois que nous l'aurons réalisé, il sera trop tard pour Adrien, qui a entamé (ou poursuivi ?) un périple terrible vers la folie.

Car Adrien n'est nullement sorti de la dépression, il l'a juste projeté sur cette créature de toile et d'huile dont il s'est entichée. Tout ce que fais, pense et vis Adrien va inéluctablement le ramener à la mort. Toutes ses recherches, ses rencontres, ses hypothèses ont un lien direct avec elle et l'ambiance du roman devient franchement morbide.

En voulant se persuader à tous crins que cette jeune femme a pu traverser les siècles pour être la muse de différents artistes qui l'ont justement immortalisé sur la toile, Adrien fuit son propre malheur, son propre deuil. Tout au long de cette descente aux enfers, il sème des indices que le lecteur découvre peu à peu. Mais, cette descente est sans retour, Adrien n'est pas Orphée, Emma n'est pas Eurydice...

Voilà pour une des visions, rationnelle, celle-là, de ce roman. On peut aussi en avoir une bien plus étrange, en allant jusqu'au bout de la logique avec Adrien. Ses recherches techniques sur les pigments sont fascinantes, les liens qu'il établit avec l'alchimie rajoutent à l'aspect mystérieux de son enquête. Le projet fou qu'il semble nourrir et que rien ne semble pouvoir entraver, pas même les craintes de Léna, est fort séduisant.

Quant au dénouement, à chacun d'en faire sa lecture, que vous soyez un indécrottable cartésien ou enclin à ne pas tout expliquer avec comme simple outil votre raison.

Toutefois, dans les deux cas, vous vous demanderez forcément ce qui va se passer après la fin du livre. Et là, quelque soit la lecture que vous ferez de "la femme dans le miroir", vous vous demanderez comme moi, j'en suis certain, si Adrien a enfin trouvé la paix ou si le pire commence pour lui.

Je me suis par moment senti très mal à l'aise pendant la lecture de ce roman avant de "trouver ma voie" et de comprendre où l'auteure, et Adrien, voulaient m'emmener. Tout y est noirceur et la seule beauté de la femme peinte sur ces toiles ne suffit pas à éclairer tout cela. Au contraire, il émane d'elle un je-ne-sais-quoi de maléfique qui, à mes yeux, a fait de "la femme au miroir", si souvent peinte, une espèce de Sirène picturale qui prend les hommes ayant le malheur de croiser son regard ou même sa silhouette dans ses filets et les mène au désastre.

Sachez que cette notion de malaise est pour moi une des vraies qualités de ce livre, dont l'atmosphère peut aussi, je le comprends volontiers, agir comme un répulsif. Ce côté presque gothique m'a beaucoup plus et les personnages secondaires, comme tout ce que fait Adrien, concourent à cette ambiance.

J'ai été convaincu, d'autres beaucoup moins, si j'en crois d'autres blogs ici ou là. Mais, je vous l'avoue, moi aussi, j'ai eu envie de voir ces tableaux, de découvrir ce que je ressentirais si j'étais, à mon tour, debout devant "la femme dans le miroir"...

Histoire de connaître un moment d'éternité, à défaut d'immortalité.

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