vendredi 21 décembre 2012

La Samaritaine de l'ésotérisme.

"C'est le châtiment ! Faites pénitence ! La fin des temps est venue!", s'écriait Philippulus le Prophète, dans l'album de Tintin "l'Etoile mystérieuse". Nous voici le 21 décembre 2012, date à laquelle, nous explique-t-on bien souvent ces derniers temps, selon un calendrier maya, gravé sur de la pierre, notre planète devrait être détruite par moult cataclysmes...

Bon, d'un autre côté, si vous lisez ses lignes, c'est soit parce qu'il y a sursis, soit à cause du décalage horaire avec le Mexique et l'Amérique Centrale, où vécut la civilisation Maya, soit parce que cette 183ème alerte à la fin du monde recensée dans l'Histoire (je n'invente pas ce chiffre) a été reportée à une date ultérieure...

Bref, dans cette ambiance si spéciale, parlons d'un livre écrit par un auteur qui devient un habitué de ce blog : Nicolas d'Estienne d'Orves, alias NEO. A la demande de la maison d'éditions Grasset, il s'est rendu à 4 reprises en une année (un visite à chaque saison) dans le village audois de Bugarach, qui, selon la rumeur, échapperait miraculeusement à la catastrophe... Son enquête, finalement plus sérieuse qu'on pourrait le croire, est publiée chez Grasset, donc, sous le titre "Le Village de la fin du monde - Rendez-vous à Bugarach".


Couverture Le Village de la fin du Monde : Rendez-vous à Bugarach


Quand son téléphone sonne, à la rentrée  2010, NEO ne s'attend pas du tout à l'aventure dans laquelle il va se lancer. Au bout du fil, un éditeur de chez Grasset qui lui demande s'il connaît Bugarach... Inconnu au bataillon. Mais, après quelques explications, la curiosité de l'écrivain, passionné de mystère et de fantastique, au point d'en faire son beurre dans ses propres romans, est piquée. Banco, il va aller enquêter à Bugarach avec la volonté non pas de tourner en ridicule une bande d'illuminés attendant l'Apocalypse, mais de comprendre comment un village de moins de 200 habitants a pu devenir en très peu de temps un lieu de rassemblement pour tout ce que l'ésotérisme compte de courants...

Une diversité que NEO met en exergue en citant un blog où une habitante de Bugarach a essayé de faire l'inventaire de ces touristes d'un nouveau genre. Accrochez-vous ! "les locaux, les néos, les babos, les ufo, les arachos, les crudi, les bios, les desco, les Anglais, les Allemands, les Catalans, les chasseurs, les cueilleurs, les à la rue des villes et les à la rue des champs, ceux qui cherchent à tailler leur propre pierre et ceux qui cherchent à investir dans la pierre, les philosophes de comptoir, les conteurs, les artistes, les oufs, les poufs, les saints, les archanges, les sâdhous, les disciples, les indisciplinés, les québlo de l'Inde, les québlo tout court..." Une liste qui me plaît assez, je dois dire.

Quatre séjour, d'octobre 2010 à juin 2011 vont donc se succéder, d'environ une semaine à chaque fois, et ce qui es ressort, c'est que, par rapport à la flopée d'émissions qui a inondé les chaînes de télé ces dernières semaines, sensationnalistes, imbéciles, sans aucun fond, sans décrire le contexte véritable dans lequel tout cela se déroule, le livre de NEO n'est pas une guignolade, une vaste entreprise de moquerie ou une bête galerie de portraits de loufoques en attente d'une visite extra-terrestre...

NEP, journaliste et écrivain, m'a donné l'impression de se prendre au jeu. Son livre, même si parfois, devant certaines rencontres, on ne peut s'empêcher de rire ou de lever les yeux au ciel en se disant : "mais c'est pas possible", est une véritable enquête dans laquelle on apprend pas mal de choses, parfois sans lien avec le 21 décembre, mais qui donne un nouvel angle de vue à cette affaire.

Pourquoi cette remarque ? Eh bien, parce que la vraie différence avec bien d'autres, je pense, c'est que NEO a préparé sa venue à Bugarach. Avec, en tête, une simple question à laquelle il avait besoin de répondre : pourquoi Bugarach ? Car il doit bien y avoir des raisons pour mettre ainsi sous les projecteurs un bled perdu au milieu de nulle part.

Bugarach, c'est dans les Corbières, au pied du fameux Pech, qu'on voit en couverture, cette colline de 1230m d'altitude qui est en fait le vrai catalyseur des courants ésotériques qui s'expriment sur place. Le Pech, montagne sacrée pour beaucoup, à la géologie particulière (ses couches supérieures sont plus anciennes que les couches inférieures, alors que ça devrait être le contraire ; un phénomène rare, mais qui n'a rien de paranormal, loin de là), proche de ce pays cathare (un bien bel outil marketing pour promouvoir le tourisme dans le département de l'Aude, en s'accommodant fort bien de la vérité historique des faits évoqués et des ruines visitées), propice aux fantasmes divers et variés, à quelques kilomètres de Rennes-le-Château, où l'on continue à chercher le mystérieux trésor de l'Abbé Saunière... Une conjonction de faits plus ou moins farfelus, de mythes et de légendes qui, saupoudrée de New Age et d'ufologie, qui se pose donc au pied du Pech...

Le pire, dans tout ça, c'est que NEO ne trouve aucune raison particulière expliquant le choix du village comme dernière oasis au coeur de la fin du monde. Juste des trucs anodins qui ont fait boules de neige par internet... Ah, internet ! Le mal incarné, pour tout Bugarachois qui se respecte ! L'outil qui a apporté la folie aux portes du village... A moins que... Et si l'étincelle qui avait mis le feu aux poudres était partie... de Bugarach même ?

Car, il semble que ce soit le maire du Bugarach, le charismatique Jean-Pierre Delord, qui aurait le premier évoqué explicitement cette histoire de fin du monde, une phrase prononcée en conseil municipal, répétée par un autre élu à un journaliste de la PQR, publiée dans ces colonnes locales avant de prendre un essor international par la voie des autoroutes de l'information...

Une phrase que certaines personnes de la région reprochent à Delord, d'autres vont même plus loin, accusant le maire d'avoir en fait allumer avec cette rumeur un contre-feu pour détourner l'attention d'un dossier bien plus délicat : la possible installation au pied du Pech, dans cette nature magnifique et sauvage, d'un parc d'éoliennes, qui remplirait les caisses de la commune... Là encore, difficile de savoir si cette hypothèse est la bonne ou si, dans l'énervement, on se cherche des crosses...

Après cette première partie théorique et explicative, sinon exhaustive, on entre dans le récit des voyages de NEO à Bugarach. Le premier avec son père, le second avec Rémi Lainé, documentariste (dont le travail sera diffusé ce 21 décembre sur Arte, à 16h50 ; des rediffusions sont prévues pour les survivants). Pour le troisième, il vient seul mais retrouve sur place ce même Rémi Lainé. Enfin, pour son dernier séjour, le plus symbolique puisqu'il a eu lieu le 21 juin, il se fait accompagner d'un musicien, Xavier Desplas, leader du groupe la Femme d'Hector et interprète d'une chanson consacrée à la fin du monde à Bugarach.

A chacune visite, l'idée est de s'immerger dans la vie du village et de ses habitants, qu'ils soient sédentaires ou de passage, natifs des lieux, citadins ayant pris des quartiers de campagne ou de passage pour des raisons liées aux bruits qui courent sur ces lieux. Rencontrer les gens, parler avec eux, de tout et de rien, les amener à se confier sur ce qui se passe à Bugarach et sur la manière dont ils voient ça et vivent ça. Avoir un panaroma du "vrai" Bugarach, pas seulement du festival Survivaliste et New Age qui l'entoure.

Bien sûr, on croise, y compris chez les Bugarachois, des personnages assez étranges, bien sûr, au cours de son enquête, NEO découvre le monde fermé de l'ufologie et rassemble des témoignages qui peuvent troubler par leur sincérité (ces gens croient avoir vu, entendu, ressenti des choses, c'est certain...), bien sûr, il y a les authentiques hurluberlus, les mythos de service et ceux qui profitent allègrement de la situation (je vous renvoie à la première annexe du livre, qui présente une partie des 350 stages de développement personnel recensés aux alentours de Bugarach pour des prix défiant non pas la concurrence, mais toute croyance en l'existence des ovnis...)...

Mais, en revenant aussi régulièrement, en choisissant l'écoute, des discussions plutôt que des interviews bruts, en s'intéressant d'abord à la vie des gens, quels qu'ils soient plutôt que d'essayer de montrer toute sorte de délire, NEO se fait accepter et obtient la confiance qui lui permet de dépasser la superficialité apparente du sujet pour en tirer des réflexions, avoir une vision moins caricaturale de Bugarach, découvrir quelques idées fausses...

Par exemple, même si l'idée que le Pech serait un garage à vaisseau spatial extra-terrestre a fait florès ces derniers mois, les ufologues ou assimilés ne représentent qu'une minorité des gens présents à Bugarach. La majorité serait plutôt, semble-t-il en attente de la révélation (ah, oui, tiens, Apocalypse, étymologiquement, ça ne veut pas dire "fin du monde", ça veut dire "révélation") d'une civilisation infra-terrestre, autrement dit, vivant à l'intérieur de notre bonne vieille planète bleue, un peuple au combien plus évolué que le nôtre et dont nous aurions beaucoup à apprendre...

Ceux-là n'attendent pas la fin du monde pour le 21 décembre 2012, mais la fin d'UN monde, nuance. L'avènement d'une nouvelle ère, Aquarius, aquarius, a-t-on envie de chanter, une ère qui marquerait la fin de ce monde matérialiste et pourri, à bout de souffle et l'entrée dans un monde meilleur, solidaire, spiritualiste, joyeux, etc. Dont acte.

Entre les néo-ruraux, ces citadins retournés à la vie campagnarde, souvent après 1968 (le maire, Jean-Pierre Delord, appartient à cette catégorie), les hippies nostalgiques des années Flower Power, les alter ceci ou cela, les punks, les désocialisés de tous genres, on a à Bugarach une diversité sociologique assez impressionnante... Y compris une fameuse égyptologue, installée là depuis un bail, chaman à ses heures, aux sautes d'humeur imprévisibles et dont on ne sait, tout comme NEO, si on doit croire le moindre mot de ce qu'elle raconte...

Mais quand je dis que NEO s'est pris au jeu, c'est une réalité. 4 séjours, un mois passé à Bugarach, ce n'est pas rien. Et, entre les séjours, le boulot de recherche a continuer, devenant presque obsédant. Il y a même un passage qui m'a rappelé les réflexions de Laurent Binet dans son roman "HHhH", autour du rôle du romancier. NEO est habité par Bugarach, le temps de ses recherches et lui aussi se demande quelle est sa mission, comment il doit raconter ce qu'il découvre, s'il n'a pas tendance à romancer un peu les choses...

Attention, en disant ça, je ne remets nullement en question l'intégrité de NEO ou la véracité de ce qu'il raconte dans le livre. Non, je pense que ses doutes de ne situent pas là. On est dans un domaine qui stimule l'imagination, même pour le plus blasé des journalistes baroudeurs. Déjà, en grimpant les pentes du Pech, entre le décor et l'ambiance, on est presque dans un cadre romanesque... Mais avec toutes ces histoires qui circulent, un écrivain abreuvé de littérature de l'imaginaire et qui en écrit lui-même, c'est du pain béni.

D'autant que, pour ceux qui ont lu les romans fantastiques de NEO, son imaginaire recoupe bien des idées en vogue autour de Bugarach : les tunnels et les souterrains, les peuples infra-terrestres, l'Arche de Noé, les trésors mystérieux, les énigmes du passé qui resurgissent, les mythes, les illusions, les canulars et les mensonges délibérés...

Au-delà des évènements et des rencontres qu'on trouve dans le livre, je pense que c'est dans la narration que NEO a pu prendre certaines libertés, histoire de nous proposer non pas un inventaire fastidieux de ses visites mais une véritable histoire, à prendre plus ou moins au sérieux, ou disons, au sérieux, mais sans se prendre vraiment au sérieux (NEO revendique d'emblée sa tendance marquée au mauvais esprit, je le rejoins volontiers sur cette voie).

Pour autant, je le redis, j'ai trouvé son livre sérieux, fouillé, intéressant, avec une dimension sociologique et la volonté de ne pas faire du 21 décembre la finalité de son enquête, mais une simple péripétie pour mieux proposer une peinture la plus fidèle possible de la vie au pied du Pech au temps des rumeurs les plus folles. Et puisque je parle de rumeur, ajoutons, au plan sociologique, la passionnante question de sa naissance, de sa propagation, de ce qui en fait une vérité suffisamment solide pour en arriver à cette hystérie collective qu'on essaye de nous vendre et nous revendre ces dernières semaines...

Au passage, lors de son dernier séjour, loin de l'hystérie attendue, NEO est tombé sur un Bugarach en voie de dépeuplement. L'arrivée massive des médias a, semble-t-il, effrayé bien des pèlerins du surnaturel, tendant à montrer que paranoïa et sens du ridicule peuvent quelquefois se rejoindre. Une situation presque paradoxale qui en mettait en rage certains, à Bugarach, comme si, d'une certaine façon, on avait tué la poule aux oeufs d'or.

Plus sérieusement, on sait que le maire a obtenu de faire fermer les accès au village en cette journée du 21 décembre. Sans doute pour éviter un afflux massif de visiteurs dans le coin à une période où la météo, parfois capricieuse, peut rendre l'accès difficile. Surtout par crainte de l'arrivée de sectes millénaristes qui pourraient vouloir y pratiquer un suicide collectif. A Bugarach, on se souvient de l'affaire de l'Ordre du Temple Solaire, une secte bien loin des légendes qui pullulent dans la région autour du trésor des Templiers ou de la quête du Graal, et on ne veut pas voir le nom du village accolé à une telle étiquette.

Bien sûr, tout ce que je peux dire ici ne remplacera pas, et heureusement, la lecture du livre de NEO, vous pourrez ainsi juger sur pièces des personnes qu'il a rencontrées et de la situation là-bas, sans passer par le prisme déformant de ma subjectivité (rassurez-vous, le ton du billet est globalement sérieux, mais je me suis bien marré, jusqu'aux dernières pages, reproductions de courriers hallucinants envoyés à la mairie de Bugarach et de commentaires humoristiques laissés par des internautes sur un site dédié à la fin du monde).

Bugarach est le Lourdes de l'ésotérisme, on repart de là avec des T-shirts évoquant la fin du monde ou les extra-terrestres, des moyens divers et variés d'entrer en contact avec des forces spirituelles supérieures, comme ces crânes de cristal (vendus entre 2000 et 15000 euros par un garçon au demeurant charmant, mais dont on ne m'empêchera pas de penser qu'il est un peu escroc sur les bords).

Combien de temps encore ce cirque médiatico-commercialo-spiritualo-n'importe quoi durera-t-il à Bugarach ? Difficile à dire, mais, à moins de choses pas sympas du tout d'ici ce soir, le soufflé pourrait bien retomber encore plus vite qu'il n'a levé.

Malgré tout, il restera un bien joli coin de France qui, avec ou sans mystère, restera fort attractif, pour les amoureux de paysage, de randonnée, de spéléologie et de vin de Corbières. Souhaitons aux Bugarachois que la plaisanterie dont ils sont, pour la plupart, les héros malgré eux appartiennent à la catégorie des meilleures plaisanteries, comprenez les plus courtes et que ce ramdam n'aura pas de répercussions trop graves sur l'avenir.

En espérant vous revoir très vite et indemnes pour de nouvelles aventures livresques, sinon... SAUVE QUI PEUT !!!!!


2 commentaires:

  1. Coucou! Celui-ci à l'air vraiment pas mal aussi, et pour le coup je ne connaissais pas du tout! :) A mettre dans ma wish-list! =D Bisous et continue comme ça ton site est super!

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  2. Merci, Elena ! On va poursuivre l'aventure en 2013 avec plein de nouvelles lectures à découvrir, promis.

    Sur NEO, c'est un auteur que je suis depuis une bonne dizaine d'années avec son roman "Fin de race". C'est un fou furieux et, comme je le dis dans le billet, le choisir pour cette enquête était une brillante idée, tant cela paraît lui correspondre.

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