jeudi 30 mai 2013

"J’ai rêvé l’autre nuit que je retournais à Duinzicht..."

Ce titre rappellera sans doute quelque chose à quelques uns d'entre vous... Oui, je me suis honteusement approprié la première phrase de "Rebecca", de Daphné du Maurier, n'en modifiant que le dernier mot, Manderley devenant Duinzicht, là aussi un nom de lieu capital pour le roman qui nous intéresse et va nous emmener aux Pays-Bas. Avec un thriller psychologique de bonne facture, "Retour vers la côte" (disponible en poche chez Folio policier), signé par une romancière néerlandaise, donc, Saskia Noort. Ou la descente aux enfers d'une jeune femme, mère de famille, qui, suite à une décision au combien personnelle, va voir sa vie basculer dans un inexplicable cauchemar... Ca se lit tout seul, on ne se rend même pas compte qu'on tourne les pages, je me suis plongé dedans dans le TGV du retour d'Epinal et je n'ai pas vu passer le voyage !


Couverture Retour vers la côte


Maria de Vos gagne sa vie comme chanteuse dans un groupe de seconde zone et mène de front une vie de maman de deux jeunes enfants. Merel, l'aînée, et Wolf, le cadet. Des enfants qu'elle a eu de deux lits et qu'elle élève quasiment seul. Quasiment, car Geert, le père de Wolf, son dernier compagnon en date, est dépressif depuis des mois. Une situation devenue si difficile à supporter que Maria a pris deux décisions fatidiques : le quitter et... avorter de l'enfant qu'elle attend de lui.

Mais, ces décisions tellement intimes, elle les a prises seule, mettant Geert devant le fait accompli. D'abord, ouste !, Du balai ! De régulier à ex en quelques secondes. Quant à l'autre nouvelle, elle ne lui en fait part qu'une fois l'avortement réalisé, malgré la colère qu'elle va forcément déclencher chez lui, partisan d'un agrandissement de la famille.

Pourquoi ce choix si dur à prendre ? Parce que Maria ne se voit pas mère presque célibataire, avec les revenus irréguliers d'une artiste qui ne deviendra jamais star et trois jeunes enfants à charge. En tout cas, c'est l'impression que l'on a dans les premières pages du roman, et l'on pourrait se contenter de cette seule explication si...

Si, quelques jours après l'intervention, n'avaient commencé ce qu'il faut bien appeler des menaces... Une lettre, des photos terriblement explicites, un colis bien peu ragoûtant, un canular d'un goût plus que douteux, autant d'éléments qui ont de quoi effrayer... Qui est au courant, à part Geert et elle ? D'autant que si elle sait que ses décisions ont peiné Geert, elle ne l'imagine pas se venger d'elle de cette façon... Et que penser du retour soudain de Steve, le père de Merel, réapparu comme par hasard ces derniers jours après avoir disparu de longues années ?

Petit à petit, la peur grignote du terrain, la paranoïa lui emboîte le pas, Maria devient de plus en plus nerveuse, inquiète aussi pour ses deux enfants... Car si c'est un fou qui lui en veut (et comment pourrait-il en être autrement ?), Merel et Wolf sont peut-être aussi en danger... Alors, dans l'affolement, Maria va prendre la seule décision que lui dicte son coeur de mère : la fuite.

Là encore, sans prévenir personne (en qui peut-elle avoir confiance, à Amsterdam ?), elle prend ses deux rejetons avec elle, tant pis pour l'école, et direction les bords de la Mer du Nord, à Duinzicht, là où les parents de Maria tenait une pension près des dunes, là où elle a grandi, avec sa soeur aînée, Ans. Après la mort de leurs parents, Ans n'a pas voulu quitter la maison, elle a racheté à Maria sa part pour faire de cette demeure sa maison... Quel autre havre pourrait-elle trouver pour échapper au danger que ce lieu familier ?

Pourtant, Maria n'aime pas Duinzicht. L'endroit lui rappelle trop de mauvais souvenirs d'une enfance marquée par les maux qui ont ruiné la santé puis la raison de sa mère... Elle n'aime pas cette maison trop grande, trop pleine de fantômes et de l'austérité qui caractérisait les parents d'Ans et Maria... Mais sa grande soeur, avec qui les liens se sont distendus, saura l'aider, elle en est sûre, la protéger...

Une nécessité qui tourne à l'indispensable quand, au lendemain de son arrivée sur la côte, Maria apprend qu'un incendie a détruit sa maison à Amsterdam... Trop évident pour croire à la simple coïncidence, c'est forcément un incendie criminel, l'acte du fou qui la harcèle depuis son avortement, il lui en veut, de façon de plus en plus personnelle, chacun de ses actes est plus fort, plus marquant, plus violent que les précédents... La peur et la paranoïa grimpe encore d'un cran ou deux...

Cependant, la police peine toujours à croire aux dires de Maria. D'abord, lorsqu'elle s'est décidée à aller les voir après la lettre et les photos, ils n'ont rien fait pour elle. Pas de délit constitué, pas d'enquête. A chaque nouvelle menace, le même immobilisme... Et là, alors qu'enfin, on devrait lui prêter attention, le doute s'installe : rien n'indique un incendie criminel. Les policiers penchent plus pour l'accident...

Déboussolée, Maria ne comprend pas... Pire, la voilà progressivement devenue suspecte... Et si elle était l'unique responsable de tout ça ? Une idée que son subconscient refoulait, mais comment s'empêcher d'y penser quand on a grandi auprès d'une mère folle ? Le flou grandit, Maria redoute à son tour d'avoir hérité cette prédisposition à tomber dans la démence... Oui, et si... ?

Le retour sur la côte, là où elle a vécu ce traumatisme, n'arrange rien, tout se brouille encore plus, les repères lui échappent et de nouveaux éléments, de nouvelles pistes apparaissent mais aussi de nouveaux doutes... A Duinzicht, Maria s'enfonce dans ses névroses et sa soeur, Ans, devenue psy, essaye de l'aider tant bien que mal. Y compris lorsque Maria perd les pédales, la mémoire et tout le reste, qu'elle ne contrôle plus sa vie et que la paranoïa devient la peur d'être devenue folle...

"Retour vers la côte" est un véritable thriller, car il repose sur tous les ressorts de ce genre et, en particulier, un crescendo dans la tension et une multiplication des questions que se posent aussi bien Maria que le lecteur. Mais, ne vous attendez pas pour autant à une débauche d'effets, de poursuites, de fusillades... Oui, le dénouement de ce roman va lorgner vers ces ficelles du genre, et plutôt bien, d'ailleurs, mais nous avons là un roman qui repose sur des effets avant tout psychologiques.

Lors de la première partie, on est mis devant le fait accompli : Maria a foutu son conjoint à la porte puis a choisi d'avorter. Un avortement qu'elle vit d'ailleurs assez difficilement, découvre-t-on. Car ses raisons sont douloureuses, il ne s'agit pas de se débarrasser de cet embryon encombrant, non, il s'agit d'autre chose, qu'on va découvrir et comprendre un peu plus tard. Comme une peur enfouie qui rejaillit, d'abord inconsciente, puis, qui revient à la surface sous la pression des événements...

Lorsque s'installe la possibilité que Maria soit folle, ou en tout cas, suffisamment déstabilisée par le choc subi lors de l'avortement pour avoir orchestré tout ça, hypothèse plausible, à laquelle Maria refuse d'adhérer, mais qu'elle n'écarte pas, elle est revenue dans ce cocon familial qu'elle a pourtant fui des années plus tôt. N'a-t-elle pas commis une erreur en revenant là où elle a tant souffert ?

Saskia Noort, en auteure de thrillers psychologiques émérite, nous distille alors à dose homéopathique les souvenirs de cette enfance pas vraiment heureuse... Et de nouvelles pièces s'emboîtent dans le puzzle, sans encore tout éclairer, au contraire, elles contribuent dans un premier temps à obscurcir encore l'intrigue, puisqu'on ne sait plus du tout sur quel pied danser...

Maria non plus, la pauvre. Elle qui rêvait d'un destin de star, la voilà en passe de virer cinglée sans tout le tralala qui va avec ce statut... Non, juste une pauvre folle qui pourrait mettre en danger ses enfants, ceux pour qui elle voulait se battre, au départ... A moins que toutes ces menaces soient réelles et qu'elle soit tombée la tête la première dans une épouvantable machination...

Bien sûr, comme souvent, on se dit "je le savais", mais c'est faux. Dire "c'est lui", c'est facile, expliquer le pourquoi du comment, expliciter le mobile, c'est tout autre chose... Dès les premières pages, on est aspiré dans cette histoire, très bien troussée et qui devient carrément machiavélique. On tourne les pages, on tourne les pages, et on se retrouve fort étonné lorsqu'on réalise qu'on a lu non stop pendant une heure, sans relever la tête et qu'on a bien avancé...

J'emploie souvent ce mot pour qualifier des thrillers, "efficace", en voilà un nouvel exemple. Avec, et j'y tiens, c'est un vrai cheval de bataille, quelques données en filigrane qui donnent une vision plus affûtée de la société néerlandaise. Oh, c'est pas petites touches, ici, on n'est pas dans un thriller politique, mais, en quelques mots, quelques situations, apparaissent quelques facettes d'une société à la fois si proche et si différente de la nôtre...

Mais "Retour vers la côte" est aussi un thriller sur la famille, sur l'hérédité aussi, d'une certaine manière, sur cette éducation, ces traits familiaux, ces secrets, plus ou moins cachés, qui nous marque forcément quand on les vit. Et qui nous marque de manière indélébile, même si, parfois, on réussit à enfouir tout cela au plus profond de soi... Mais, le serpent de mer de ces souvenirs guette le moment propice pour jaillir des profondeurs... Et là...

J'ai été frappé, lorsqu'on découvre peu à peu la vie de la famille Vos à Duinzicht, du parallèle qu'on peut établir entre Maria et sa mère, un parallèle troublant... Confrontée à cette évidence, à la façon de cela a pu influencer ses choix, on comprend alors le questionnement intime que peut avoir Maria en pleine tourmente, mais aussi le fait que cela puisse la paniquer complètement.

Oui, on a là un thriller dans lequel les spectres familiaux dansent sous nos yeux, terribles hantises. Maria n'a pas réussi sa vie de couple, Maria adore ses enfants mais sait que son mode de vie, les concerts, la vie nocturne, les à-côtés de la vie de chanteuses, clopes, alcool, drogue (je précise qu'il ne s'agit pas d'un point de vu moral, mais bien d'un constat fait par le personnage et qui émane d'une partie de son entourage), n'est pas idéal, Maria aime sa vie telle qu'elle est, lucide sur ses chances minimes de devenir une star, mais malgré tout consciente qu'elle est aux antipodes de la vie de ses parents...

Tout en elle la pousse, consciemment ou non, à ne surtout pas agir comme sa mère, mais aussi comme son père... Un père qu'elle aime, qu'elle a peut-être idolâtrer dans sa tendre jeunesse, mais qui a perdu de son lustre par la suite, devant sa façon de gérer le cas maternel. Un reproche sur sa soumission, sa démission... Et, là encore, il s'agit de crier dans chacun de ses actes, chacune de ses décisions "plus jamais ça".

La folie est aussi au coeur de ce livre. Elle l'imprègne, sauf qu'on ne sait pas qui est fou. On ne sait pas où se trouvent les îlots de raison dans cet océan de moins en moins pacifique au fil des pages. Et, lorsqu'on crois en toucher un, bien évidemment, c'est un leurre... Au point qu'on se demande, en même temps que Maria, si elle ne pourrait pas avoir pété les plombs suite à son avortement...

Pour ceux qui connaissent "Rebecca", je vous laisse juge, mais plus ça va, plus on voit quelques points communs que ce soit ces fantômes, cette demeure ou cette ambiance propice à perdre les pédales... Ca s'arrête là, ne comparons pas ce qui n'est pas comparable, pourtant, l'ambiance aussi, lourde, oppressante, m'a rappelé ce roman devenu un classique et son adaptation hitchcockienne...

Oui, l'image de Manderley s'est imposée à moi en découvrant Duinzicht. Là encore, de grosses différences, tant dans la disposition des lieux que dans la nature de la demeure, je le reconnais volontiers, mais bon, que voulez-vous, en ce moment, je fonctionne par associations d'idées, et là, ça a donné ça... Oui, je persiste et je signe, il y a un (petit) quelque chose !

Allez, cessons ces divagations, je ne voudrais pas à mon tour sombrer dans la folie. Mais j'ai beaucoup aimé ce livre, un premier roman, je crois que je ne l'ai pas encore signalé. Depuis, Saskia Noort a confirmé ses aptitudes, puisque son second livre, "Petits meurtres entre voisins" (disponible également chez Folio) a reçu le prix SNCF du polar européen il y a 3 ans. Et je me sens plutôt enclin, si l'occasion se présente, à retrouver cette romancière.

Une découverte que je dois au site LivrAddict et à l'éditeur, Folio Policier, puisque j'ai lu ce roman en partenariat avec eux. La preuve que ces offres peuvent, parfois, avec un peu de curiosité, de se retrouver avec dans les mains des livres à côté desquels on serait sans doute passé... Désormais, si on me parle de Saskia Noort, je saurai quoi dire et penser. Mais aussi, pourquoi pas, en conseiller la lecture !


1 commentaire:

  1. Quel billet...
    Je vais peut-être lire "Rebecca" avant?Non?!!!
    Je l'ai mis dans ma WL.
    Tu écris vraiment tes billets avec talent...Je suis admirative, Joyeux-Drille!!Merci ;)

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