mercredi 12 mars 2014

"L'Afrique est sur la croix. L'Afrique c'est Jésus. Elle meurt pour que le reste de l'humanité vive".

Ne nous excitons pas, ce titre est extrait du roman, et forcément sorti de son contexte pour servir de titre à ce billet. Par ailleurs, s'il est beaucoup question de religion, ou plutôt de religions, au pluriel, ce n'est pas l'unique thématique de notre livre du jour. Et c'est surtout un roman assez drôle et imaginatif dans le style, mettant en scène une belle héroïne. C'est la première fois, avec "Le Christ selon l'Afrique" (en grand format chez Albin Michel), que je lis un roman de Calixthe Beyala, auteure qui attire aussi bien les honneurs (un Grand Prix de l'Académie Française) que les polémiques (accusations de plagiat). Je ne suis qu'un humble lecteur et je me suis bien amusé, tout en réfléchissant. Un cocktail qui me satisfait.





Boréale a une vingtaine d'année et vit dans un quartier pauvre de Douala, au Cameroun. Elle gagne sa vie comme femme de ménage chez Dame Sylvie, une artiste française, venue s'installer en Afrique après le naufrage de son mariage, sans succès : le climat tropical n'a pas soigné la dépression qui la ronge lentement.

Chez Dame Sylvie, Boréale travaille avec une autre femme, plus âgée qu'elle, Mina, qui s'occupe des fourneaux. Mina aussi exubérante et généreuse qu'elle peut-être désagréable avec Boréale. Sans doute une question de jalousie pour sa cadette, plus jeune, plus jolie... Alors, quand ça lui prend, Mina déverse sa rancoeur sur Boréale qui encaisse sans rien dire...

Il faut dire que la famille de la jeune femme ne lui apporte guère de réconfort et que chez Dame Sylvie, c'est pas si mal... La mère de Boréale ne jure que pas sa fille aînée, Olivia, et ne parle à Boréale que pour la dénigrer... On comprend même que son enfance n'a pas été rose, loin de là... Quant à la tante de Boréale, M'am Dorota, elle nourrit de grands projets pour sa nièce...

Mariée à un homme riche, M'am Dorota aimerait devenir mère... Plus exactement, elle voudrait avoir un enfant de son époux, mais ne peut, ou ne veut, le porter. Alors, elle verrait bien Boréale jouer les mères porteuses. Ce à quoi Boréale ne semble pas vraiment disposée... Elle se trouve un peu jeune pour porter un enfant et elle trouve aussi que réduire la femme au simple rôle de mère est quelque peu restrictif...

Car libre, Boréale l'est. Oh, il y a bien eu une relation avec Homotype, mais elle y a mis fin quand elle s'est rendue compte que lui aussi était libre... Pour ne pas dire volage... Aimer, d'accord, mais avec une certaine exclusivité, pense Boréale. Alors, désormais, il leur arrive de se retrouver pour un câlin, et même un peu plus, car Homotype se défend dans ce domaine, mais c'est tout. Il n'a plus aucune chance d'être un jour son homme, foi de Boréale !

Mais Homotype n'est pas qu'un don juan, c'est aussi un garçon étonnant... Ancien étudiant en droit, il est proche du mouvement rastafari et évoque régulièrement les racines africaines, qui plongent dans l'Egypte antique. Considéré comme un artiste ou un hurluberlu, dans le quartier, il du mal à être pris au sérieux alors qu'il défend des positions panafricaines...

Il faut dire que toute cette histoire se déroule dans un Cameroun qui se divise de plus en plus souvent autour des questions religieuses... Le pays est devenu un vrai marché aux croyances où les différentes églises, en particulier les nouvelles églises évangélistes, rivalisent d'astuce et de créativité pour gagner des parts de marché sur la concurrence...

A grand renfort de discours enflammés et de "miracles", de cérémonies spectaculaires et de transes, ces prophètes rallient de plus en plus de fidèles autour de la personne du Christ. Mais quels liens y a-t-il entre Jésus et l'Afrique ? Et entre les autres religions monothéistes, qu'elles soient en perte de vitesse, comme le catholicisme, ou regardées avec crainte et méfiance comme l'Islam ?

En fait, ces poussées religieuses ne sont qu'un symptôme parmi d'autres, selon Homotype, de cette soumission de l'Afrique à l'homme blanc. Quand ce ne sont pas les prophètes, on met en avant la science, comme Doctaire Modeste Nourdjou, le scientifique du quartier, une science qui vient des recherches occidentales alors que, affirme Homotype, l'Afrique a perdu ce savoir qu'elle possédait depuis l'Egypte antique...

Les politiques, alors ? Ils sont bien trop occupés à conserver leur pouvoir et à s'en mettre plein les fouilles... Ces puissants, bien souvent corrompus, s'accommodent volontiers de la situation présente et ne travaillent en rien à l'autonomie et l'indépendance du pays et, au-delà, du continent... N'en déplaise à Madame Foning, cette richissime politicienne, qui n'hésite pas à intervenir dans le quartier, surtout s'il y a des caméras pour la filmer, afin de prêcher la bonne parole du pouvoir en place...

Et l'Afrique n'arrive pas à se débrouiller seul pour régler les problèmes du continent... Le roman évoque la Côte d'Ivoire et la Libye... On pourrait rajouter depuis le Mali et la Centrafrique, d'ailleurs... Là encore, ce sont les Occidentaux qui interviennent pour faire le gros du travail, décident des dirigeants qu'il faut démettre... et de ceux qui restent en place...

Voilà, à différents niveaux, dans quel pays vit Boréale. Et tout ça, c'est un peu le cadet de ses soucis, à la demoiselle. En fait, elle aimerait bien que tous ces oiseaux de mauvaise augure et tous ces empêcheurs de vivre en rond lui lâchent la grappe. Boréale ne se posent aucune de ces questions existentielles, elle a juste envie de s'amuser quand elle en a envie...

Il est beaucoup question d'amour et de sexe, dans "Le Christ selon l'Afrique", mais souvent séparément... Boréale ne cherche pas vraiment le grand amour. Pas sûre qu'elle y croie, d'ailleurs, pas plus qu'à tout le reste. Sans doute n'a-t-elle pas l'existence dont tout le monde rêve, mais elle n'a pas à se plaindre, gagne sa vie, s'amuse, ne pense pas trop au lendemain, dit ce qu'elle a à dire quand il le faut...

Peu importe la réputation, les on-dit, elle s'en fout bien de tout cela, Boréale. Elle ne juge pas, elle attend qu'on fasse pareil à son égard, même si on trouve qu'elle sort des clous ou du chemin qu'on aimerait tracé pour elle... Calixthe Beyala évoque aussi la condition des femmes en Afrique, dans ce roman. Des femmes assignées aux missions maternelles et c'est à peu près tout ; ou bien des prostituées, et là, la montée des idées moralisatrices n'aide pas...

Le tableau a l'air assez sombre, comme cela, et il l'est indubitablement. Pourtant, "Le Christ selon l'Afrique" est une lecture inventive et colorée, qui donne souvent le sourire et même parfois plus. La manière de parler de Boréale, qui est notre narratrice, regorge de trouvailles, de néologismes, d'associations de mots amusantes, d'épisodes hauts en couleurs...

Oui, je me suis franchement amusé au fil de ce récit picaresque qui nous permet de découvrir et d'accompagner un personnage qui a du caractère et qui n'hésite pas à le faire savoir à bon escient. Elle sait ce qu'elle veut, Boréale, et sans doute plus encore, ce qu'elle ne veut pas... Elle trace son propre sillon loin des querelles et des tensions.

J'en ai explicité pas mal, elles sont là, d'abord façon Clochemerle, et puis de plus en plus fort. On n'en est pas encore à des scénarios qui pourraient dégénérer à la façon du Rwanda ou de la Centrafrique, mais la violence n'est jamais très loin... Faut-il pour autant penser que plonger inexorablement dans le chaos est une fatalité pour l'Afrique ?

C'est sans doute un des grands enjeux de ce roman qui, pour critiquer la religion et son influence néfaste sur la société camerounaise, n'en tourne pas moins à la parabole. Je ne vais rien vous dire de la seconde partie du roman, et en particulier de l'événement qui va tout bouleverser pour Boréale, avant tout, mais peut-être plus que cela...

Encore une fois, Boréale va surprendre tout le monde, changer radicalement de cap, mais, même lorsqu'elle accepte certaines concessions, lorsqu'elle revient sur certains de ses choix, elle finit immanquablement par reprendre les rênes de sa vie et mener sa barque seule, contre vents et marées, contre les courants dominants, au milieu des récifs...

"Demain est une incertitude. Oui, une incertitude, pas seulement pour l'homme noir qui s'était éloigné de sa spiritualité originelle mais également pour l'homme blanc qui s'agrippait au pouvoir de la raison et aux biens matériels", nous dit Boréale à la fin du livre. Ce monde a-t-il besoin d'un sauveur, d'un nouveau Christ ?

Ou tout simplement d'une nouvelle génération d'hommes et de femmes africains qui rompent avec les vieilles habitudes pour prendre son destin en main et, dans le même temps, celui du continent. Ce constat, c'est celui que fait Calixthe Beyala dans ce roman, en tout cas, c'est ce que j'y lis, en espérant ne pas me tromper...

Mais la romancière le fait avec un humour féroce et même un certain cynisme. Je ne peux pas trop entrer dans les détails, mais si la question religieuse est directement mise en avant dans le titre du roman, ce n'est évidemment pas un hasard... Et plusieurs aspects de ce dénouement pourraient faire grincer des dents... Moi, je me suis bien amusé de ces retournements de situation et de cette trouvaille finale...

Sans doute cela relève-t-il, pour le moment en tout cas, plus du voeu pieux que du constat d'un mouvement amorcé et destiné à durer... Mais, "Le Christ selon l'Afrique" est plus une fable et une satire qu'un pur roman politique. Son final se veut optimiste et, à défaut de pouvoir suivre plus longtemps Boréale, de la voir encore grandir, s'affirmer et faire ses preuves, on a envie de croiser les doigts pour que ses souhaits prennent corps, pour elle, son pays, son continent...

Avant de clore ce billet, un mot de la bande-son du roman, puisque Calixthe Beyala a cédé à cette nouvelle tendance. Les morceaux, de Francis Bebey à Manu Dibango, de James Brown à Aretha Franklin, de Brassens à Christophe, des Beatles à Tracy Chapman, de Bob Marley à Burning Spear, pour vous mettre des fourmis dans les jambes, forment un play-list métissée et équilibrée entre sons noirs et musiques plus occidentalisées.

Il y a de quoi faire et, à l'image de ce que fit Alain Resnais dans "On connaît la chanson", chacun de ses titres a été choisi pour correspondre à une humeur et une situation, quotidienne ou plus inattendue. La musique, les musiques, même, sont au coeur de ce livre qui, malgré un contexte qui ne prête pas forcément à rire, malgré un constat qui pourrait sombrer dans un profond pessimisme, respire la joie de vivre.

Et cela aussi fait beaucoup pour qu'on passe un bon moment en compagnie de Boréale.

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