dimanche 2 mars 2014

"Les nobles sont faits pour ça, leur sang est bleu comme l'acier de leurs armes" (Serge Brussolo).

"Rois du Monde" et "le Sabre de sang", ce sont les titres des derniers livres dont je vous ai parlé. Alors, pour boucler (provisoirement) la boucle en matière de fantasy, voici le premier tome d'un cycle intitulé "le sang des 7 rois". Fascinant de voir comme, dans ce genre, on peut, avec des ingrédients proches, créer des histoires et des univers originales et très différentes. Ce "Livre premier" est aussi le premier roman de Régis Goddyn et est publié chez l'Atalante, en attendant de nouveaux tomes (le troisième doit sortir ces jours-ci). Un cycle de fantasy médiévale qui repose sur une idée très étonnante, qu'il est encore tôt pour juger complètement. En effet, ce premier volet s'inscrit, on le sent, dans une histoire plus large, que le lecteur n'embrassera qu'une fois le dernier tome lu.





Je suis désolé, il nous faut commencer par un peu de géographie... Les 7 Royaumes sont un atoll, je ne vois pas d'autre mot pour le décrire. Imaginez un collier de terre au milieu d'un océan, ne possédant qu'une ouverture sur l'extérieur, qu'on appelle le Goulet, passage d'autant plus étroit que s'y trouve un chapelet d'îles, et encerclant une mer intérieure.

Ce collier de terre est donc divisé en 7 royaumes à la tête desquels se trouvent des rois, pas forcément alliés les uns avec les autres, possédant chacun des caractéristiques géographiques et démographiques particulières. C'est dans l'un de ces royaumes, celui qu'on appelle le Premier Royaume, que se situe le point de départ de ce cycle, en l'an 806.

Plus exactement à Hautterre, petit fief situé dans les contreforts de la Crête de l'Ouest, une chaîne de montagne derrière laquelle se trouve la Mer Intérieure. Ce vicomté, de part sa situation, dans une région naturellement difficile et escarpée, n'est pas l'une des régions les plus riches ou les plus peuplées du Premier Royaume, bien au contraire.

Une nuit, deux enfants y sont enlevés. Une grande surprise et une espèce de panique se déclenche alors, que le Vicomte, un homme assez mou, essaye d'affronter comme il le peut. Les rares témoins évoquent le passage de chevalier en armures recouvertes de tissu qui n'ont rien fait d'autre que se saisir des deux enfants, une fille et un garçon, ne laissant derrière eux qu'une bourse à chacun, pleine d'or pour l'un des enfants, d'argent pour l'autre...

Le Vicomte décide de lancer à la poursuite des kidnappeurs une troupe. En tant que seigneur, il possède en effet une petite garnison, peu aguerrie, car, à Hautterre, il ne se passe habituellement pas grand chose, à l'exception d'un de ses sergents, un certain Orville, qui a pas mal roulé sa bosse avant de se retrouver dans cette forteresse de montagne, gagné au jeu par le Vicomte.

Mais, la mission qui échoit à Orville s'annonce fort délicate. Tout indique en effet que les chevaliers sont repartis par les chemins menant à la Crête de l'Ouest, une région hostile, où personne ne vit, à tel point que personne ne l'a jamais véritablement cartographiée. Personne n'y va jamais, il n'y a guère que quelques caravanes commerçantes qui la traversent en partie, mais sans jamais s'y installer...

Pour renforcer l'autorité d'Orville dans sa poursuite, le Vicomte de Hautterre le nomme capitaine-ambassadeur-militaire, un grade assez mystérieux, même pour Orville, mais qui lui offre un pouvoir immense, à la fois sur le peuple, mais aussi sur la noblesse. Autrement dit, Orville peut, désormais, en toute circonstance, donner des ordres et être obéi, quel que soit son interlocuteur...

Pourtant, ce grade ne lui est guère utile dans sa poursuite. La crête est déserte et les fuyards avancent à un rythme qui défie les qualités humaines et animales. Sur un terrain difficile, escarpé, peu propice à la vitesse et même au déplacement des chevaux, Orville et sa troupe doivent faire avec le comportement de leur adversaire, qui n'hésite pas à les narguer dans un premier temps.

Puis, viennent les embuscades, les attaques... Petit à petit, la troupe d'Orville se réduit comme peau de chagrin, tandis que lui fait preuve d'aptitudes exceptionnelles au combat, au point de se surprendre lui-même... C'est seul qu'il continue la poursuite, face à un ennemi insaisissable mais aussi, aidé à distance par un allié invisible qui lui sauve la vie à plusieurs reprises...

Quelle étrange situation, que celle d'Orville, qui consigne, comme lui a ordonné le Vicomte, toute son étrange aventure dans un journal (que découvre régulièrement le lecteur) ! Il ne sait pas qui il poursuit, survit à toutes les attaques soit par son talent propre, soit grâce à des coups de main providentiels et anonymes, se nourrit tant bien que mal et ressemble désormais plus à un gueux qu'à un capitaine-ambassadeur-militaire...

Et, lorsqu'il arrive, après des mois de trajet périlleux au Marquisat de Vallade, au bord de la Mer Intérieure, il est particulièrement mal accueilli... Son autorité est remise en cause et sa quête pour retrouver ceux qui ont enlevé les enfants à Hautterre s'arrête et une autre phase de sa vie commence, d'abord captive puis, comme roi d'un huitième royaume qu'il va fonder en un lieu un peu spécial...

Parallèlement à la quête d'Orville, le lecteur assiste à l'entrée en ébullition de la cour du roi Hartrold IV, souverain du Premier Royaume. L'annonce de l'enlèvement des deux enfants à Hautterre semble avoir provoqué une série d'événements religieux et politiques, si ce n'est inattendus, tout du moins inquiétant.

Entre militaires et religieux, il y a de l'électricité... Comme si les Théocrates, d'un côté, qui forment le clergé du culte voué au Suprême, et les Gardiens, de l'autre, qui composent un ordre militaire exclusivement aristocratique et réputé pour sa férocité, voyait dans cet événement certes dramatique, mais assez anodin, quelque chose de bien plus important, voire dangereux...

Il faut dire que ces deux pouvoirs ont des caractéristiques bien particulières dans les Sept Royaumes, des missions bien définis, aussi, et des pouvoirs spécifiques et extraordinaires qui, s'ils s'affrontaient, pourraient provoquer des dégâts terribles... Reste à comprendre ce que les uns et les autres voient dans les enlèvements de Hautterre, le rôle qu'ils y jouent peut-être et, si ce n'est pas le cas, comment ils vont y réagir...

Avec, au coeur de ces craintes, une singularité propre aux Sept Royaumes : le sang bleu.

Je ne vais pas en dire trop sur ce sang bleu, tout d'abord parce que je ne suis pas bien sûr d'en être capable... Je m'explique : le fil conducteur du roman, c'est Orville et sa quête. Ensuite, épisodiquement, on découvre ces événements extérieurs qui dépassent largement le cadre de la poursuite de kidnappeurs pour prendre des allures d'affaire d'Etat, et probablement plus encore.

Mais, tout ce qui se passe dans cette histoire parallèle est forcément d'une importance capitale pour la suite. Il y a des secrets, des lois, humaines, religieuses, des traditions, des règles qu'il ne fait pas bon ignorer ou découvrir, c'est selon. Ce qu'on apprend, au compte-gouttes, à propos de ce sang bleu, est en tout cas pour le moins inquiétant.

Reste que les rapports de force entre Théocrates et Gardiens n'est pas encore très clair, et c'est tant mieux, puisque cela veut dire qu'on a encore beaucoup à apprendre de cette affaire, qui remonte aux origines même des Sept Royaumes. Et, en particulier, on croise certains personnages dont on se demande pour le compte de qui ils agissent. Qu'ils soient Théocrates ou Gardiens, ces personnages n'agissent pas conformément aux factions auxquelles ils sont censés appartenir...

Tout cela est bien mystérieux et ce sang bleu avec. Or, il introduit quelque chose de franchement original dans la fantasy : la notion, non pas d'hérédité, qui existe dans tout cycle mettant en scène des monarchies et des dynasties, mais bel et bien la notion de génétique... Car, en introduisant cette notion dans son histoire et son univers médiéval, il en fait de même avec les notions d'eugénisme et d'épuration.

Il y a chez les Théocrates quelque chose de l'Inquisition espagnole la plus virulente, celle de Torquemada, celle de la Reconquête, traquant les Juifs, les chassant dans un premier temps, puis convertissant de force ou tuant ceux qui ne sont pas partis... Mais, c'est une impression, ce que raconte Goddyn est plus complexe que cela, et pas moins passionnant.

Quand je dis "sang bleu", il faut prendre l'expression au pied de la lettre, il y a des personnages dont le sang est bleu, de mémoire, il fait penser à la couleur des myrtilles, est-il dit dans le texte. Mais, on ne peut pas ne pas songer à l'expression, ce sang bleu qu'on attribue aux aristocrates, comme quelque chose qui les différencie du commun des mortels. Goddyn joue évidemment avec, en particulier dans le côté décadent qui s'est imposé au fil des siècles dans l'aristocratie des Sept Royaumes et, désormais, pose problème...

C'est vrai que la construction du roman n'est pas évidente. D'abord, il y a un choix, très réussi, j'ai trouvé, d'introduire des éléments, comme tout ce qui concerne le sang bleu, les Théocrates, les Gardiens, sans nous donner aucune clé. Résultat, Goddyn crée une forme de suspense qui donne des airs de thriller au début du livre. De la politique-fiction qui lorgne vers ce que peut écrire un Grisham, par exemple... Lorsqu'un personnage principal se retrouve livré à une menace aux contours plus que flous, pour créer la tension.

Mais la complexité de la construction est, j'ai trouvé, d'une autre nature. Je l'ai dit en introduction, j'ai eu vraiment le sentiment de ne pas seulement lire le premier tome d'un cycle, mais vraiment le début d'une longue histoire. Ce "Livre Premier" est comme une partie d'un tout, sauf qu'on a pas ce tout à disposition pour s'en servir tout de suite les tranches d'une traite...

Cela crée une espèce de frustration, mais aussi beaucoup d'interrogations quant au rôle précis des uns et des autres dans cette affaire... Et, du coup, forcément, on a envie de poursuivre le voyage pour obtenir quelques réponses, avoir une compréhension plus globale des événements. Il faut, en tant que lecteur, se montrer patient.

C'est une expérience assez nouvelle, pour moi, et donc assez déroutante. Je ne suis pas un habitué des cycles de fantasy. Pour être franc, si je lis des séries mettant en scène des personnages récurrents, dans des polars, par exemple, une histoire à chaque livre mais des personnages qui évoluent au fil des histoires, j'ai toujours eu une préférence pour les one-shots, qui offrent des contextes nouveaux, des histoires différentes, des thèmes nouveaux (même si ce n'est pas systématique)...

Ici, je dois me mettre dans la tête que l'histoire de ces Sept Royaumes ne s'arrête pas pour reprendre dans le tome 2. Non, on sera, j'imagine, dans la continuité parfaite, dans un récit écrit d'un bloc mais qui nous est distribuée tome après tome. En fait, on a assemblé un coin d'un immense puzzle, 5000 ou 10000 pièces, on n'en devine qu'une minuscule partie et il reste encore beaucoup à faire avant de voir l'image entière. Et je dois dire que je suis assez impatient de poursuivre la route aux côtés d'Orville et des autres.

Et en particulier d'un personnage dont je ne vous parle que maintenant. Il faut dire qu'elle apparaît tard dans le "Livre Premier", vers la page 280, si ma mémoire est bonne. Mais (oui, je triche un peu), son rôle va aller croissant, et pour cause : elle est en couverture du "Livre Deux" ! Et, même sans cela, il ne faut pas être grand clerc, ou Clairvoyant, comme on dit dans le roman, à l'image de certains personnages possédant ce pouvoir, pour deviner que cette jeune fille est appelée à jouer un rôle majeur dans cette histoire.

Qui est-elle ? Je ne veux pas trop en dire... Elle est fille de sorcière, en tout cas, c'est ainsi qu'on qualifiait sa mère. Lorsque les opérations menées par les troupes lancées sur les routes par les Théocrates ont débuté, la mère de Rosa a été jugée comme une sorcière. Et, dans les Sept Royaumes, comme dans notre monde bien réel, on est prompt à allumer les bûchers...

Rosa aurait dû subir le même sort. Mais le Théocrate Lambret, un homme mûr, qui en a beaucoup fait et vu plus encore, est fatigué de tout cet arbitraire... Alors, il a décidé de soustraire Rosa de la volonté théocratique et s'est enfui avec elle, parce que Rosa n'a aucune caractéristique faisant d'elle une sorcière. Il veut qu'elle vive !

Mais, tandis que leurs poursuivants, impitoyables et terriblement puissants, se rapprochent, la jeune fille commence à montrer certains dons... Non, elle n'est pas sorcière, Lambret en est certain, et pourtant... Pour le reste, Rosa reste encore une énigme au lecteur, même si elle fait office de bol d'air frais dans un univers rendu étouffant par les interrogations et les dangers qui se multiplient.

Et, même si Orville et Rosa ne se sont jamais rencontrés, ils ont décidément bien des points communs...

Voici un premier tome réussi, qui a su me tenir en haleine d'un bout à l'autre, même si, parfois, je me suis demandé où voulais en venir l'auteur. Je le redis, il faut être patient, Régis Goddyn ne fait sans doute rien au hasard, et accepter de se laisser prendre par la main par l'auteur. Oui, on ne sait pas où on va, on ne comprend pas tout, mais il fait savoir l'accepter et en faire, au contraire, un atout.

Je ne me suis pas ennuyé une seule minute, même si je dois reconnaître que le rythme du début ralentit dès que Orville arrive à Vallade, sans doute parce que les situations deviennent plus statiques... Pour autant, l'arrivée de Rosa, qui elle aussi doit se déplacer sans cesse, apporte de nouveau du mouvement, et son lot de questionnements.

Il me tarde d'avoir quelques réponses, désormais, de comprendre qui tire véritablement les ficelles, quelle est la nature exacte de la relation entre les Théocrates et les Gardiens et, finalement, une idée plus précise de ce qui se passe vraiment sur cet atoll perdu au milieu de nulle part... Avec une unique certitude : tout cela n'est pas joli-joli !

2 commentaires:

  1. Je suis bien contente que tu ais accroché! Le tome 2 est encore meilleur et je viens d'acheter le 3 :-D

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  2. Magnifique analyse qui me donne envie de me relire. Merci infiniment. Régis Goddyn

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