jeudi 24 avril 2014

Chacun cherche sa Cat-Oldie...

Le titre de ce billet est à peu près aussi mystérieux que le titre du roman qu'il présente... Mais, si vous saurez bientôt ce que signifie cet étrange terme de "Cat-Oldie", en revanche, ne comptez pas sur moi pour vous dire ce qui se cache derrière le mot "Bastards", ornant la couverture du nouveau roman d'Ayerdhal (en grand format au Diable Vauvert). Je ne vais pas vous mentir, alors que j'écris ces quelques lignes d'introduction, je me demande bien comment je vais vous parler de ce roman sans le trahir, car il est plein de surprise et d'inventivité, un thriller fantastique qui ne se ménage pas en termes d'action. Et met à l'honneur, comme on le voit, une nouvelle fois, en couverture, les chats, et même la gent féline. Mais pas seulement...





Alexander Byrd, originaire du Montana et installé à New York, est un romancier qui a le vent en poupe. Ses trois premiers romans ont rencontré aussi bien la critique que le public et le quatrième a décroché un des prix les plus prestigieux : le Pultizer. Mais l'écrivain, qui est quadra depuis peu, n'a-t-il pas atteint son Everest ? Comment repartir après ces années extraordinaires ?

Le voilà touché par le syndrome de la page blanche. Plus exactement, s'il parvient encore à mettre en mots certaines idées a priori prometteuses, la concrétisation ne se fait pas et ces écrits finissent invariablement à la poubelle, ou plutôt dans la corbeille de son ordinateur. Oui, Alexandre Byrd est en panne sèche et il aimerait bien remettre du carburant dans son moteur à inspiration...

Il s'en va chercher conseil auprès d'autres écrivains de talent, plus expérimentés que lui qui, espère-t-il, sauront décoincer son imaginaire grippé... Et c'est Colum McCann en personne qui va l'orienter vers une piste capable de remettre en marche la mécanique littéraire de Byrd. Oh, un simple coup de pouce, une chiquenaude... Rien qu'un simple sujet apparemment anecdotique, mais qui pourrait titiller l'imagination de tout écrivain...

Ce sujet, c'est un fait divers, comme il en existe tant, mais qui a marqué les esprits : une vieille dame, attaquée dans la rue par trois voyous, qui riposte avec l'aide de son chat et les laisse tous les trois sur la carreau. Définitivement... Il n'en faut pas plus pour défrayer la chronique, au point de faire de cette vieille dame inconnue une légende urbaine.

Cat-Oldie, c'est donc elle. Mais on ne sait rien de plus à son sujet que ces rares informations qui ont pu être enjolivées par la vox populi... La police n'a rien découvert au cours d'une enquête menée en sourdine, car Cat-Oldie tient plus de l'héroïne que de la dangereuse criminelle. Pour Alexander, il y a là quelque chose d'assez intriguant pour réveiller son instinct endormi de romancier... Alors, oui, il suit le conseil de Calum McCann, et décide de retrouver Cat-Oldie.

Pour l'aider, il va faire appel à une de ses amies, Maria Minuit, qui travaille aux relations publiques de la police de New York. Celle-ci va lui faire rencontrer deux hommes, susceptibles de l'aiguiller : Kyle Kentrick, qui est l'assistant d'un procureur fédéral, et Lawrence McNair, agent spécial du FBI. Tous les deux nourrissent la même curiosité à l'égard de Cat-Oldie qu'Alexander...

Mais le romancier a les mains plus libres pour partir à la recherche de la justicière à cheveux blancs... Une vieille dame qui n'aurait pas frappé qu'une seule fois... A moins qu'il n'y ait plusieurs femmes confondues sous ce surnom... Les rares indices récoltés auxquels Byrd a accès grâce à ses nouveaux amis ne semblent que rendre le mystère plus épais...

Plus que jamais Alexander veut découvrir qui se cache derrière le personnage qu'on a baptisé Cat-Oldie. Il s'y colle à temps plein, se plonge à corps perdu dans cette enquête, qui dépasse le cadre de simples recherches pour préparer un roman. Il l'ignore encore, mais ce qu'il va découvrir va bouleverser son existence...

Car les rencontres qu'il va faire dans le cadre de son enquête mais d'autres, également, apparemment fortuites, des événements inattendus, comme l'accident dont est victime Maria en sortant de son boulot, vont se multiplier. Et bientôt, Alexander Byrd, étoile montante de la littérature new-yorkaise, prix Pulitzer, va se retrouver impliqué dans une histoire qui n'aurait jamais dû être la sienne et dans laquelle il va devoir trouver sa place... Une histoire pleine de dangers et de surprises...

Mais je ne vais pas vous en dire plus... Oui, je sais, ça laisse vraiment dans le flou, mais les révélations qui s'enchaînent ensuite, les rebondissements qui se multiplient, le rôle même que doit occuper Alexander bien malgré lui et le terrible et irréversible processus que son innocente curiosité va déclencher doivent être découverts au fil des pages...

Oh, Ayerdhal est un dangereux récidiviste dans ce domaine. Ses précédents thrillers sont eux aussi plein de ces pièges qui attrapent le lecteur pour ne plus le lâcher jusqu'aux dernières pages et sa créativité, son imaginaire, ses combats sont connus et reconnus... Mais, dans "Bastards", il distille une intrigue avec machiavélisme et elle ne se dévoile que très progressivement...

Que ce soit "Transparences", "Résurgences" ou "Rainbow Warriors", les thrillers d'Ayerdhal ont toujours flirté avec le fantastique. Il était inscrit dans les gênes de ces livres, prenait part de façon importante à l'intrigue mais sans prendre le dessus sur le réalisme. Il se nichait dans des détails, importants, comme le visage impossible à reconnaître d'Anna X., par exemple, mais pas au-delà en ce qui concerne la structure narrative.

Avec "Bastards", là, aucune hésitation, on est bien dans un thriller fantastique qui déploie lentement mais sûrement toutes ses facettes pour ne cesser de surprendre non seulement son personnage central, mais aussi ses lecteurs. On pressent certaines choses, on se dit "oui, peut-être que... mais non, impossible !" avant de se frapper le front, façon commissaire Bourrel ou de béer à s'en décrocher la mâchoire...

J'ai l'air d'exagérer ? Eh bien pas du tout ! La progression de l'intrigue est pleine de questions dont les réponses n'arrivent que bien plus tard, et font apparaître une réalité indiscernable, des ramifications insoupçonnables et un combat sans merci qui a de quoi rendre franchement parano... Donc, non, je n'exagère pas, "Bastards" a de quoi vous donner votre content d'émotions.

Dans "Bastards", il y a de l'action et de la violence, comme un feu d'artifices, d'abord par pics, puis dans un bouquet final qui cloue au fauteuil. Il y a de l'amour, aussi, et pas mal de sexe, avec des scènes particulièrement explicites... Il faut dire que Alexandre Byrd va se découvrir, parmi tant d'autres choses, un pouvoir d'attraction à rendre jaloux chaque lecteur mâle...

Action, amour, mais aussi engagement. Vous vous doutez bien que toute cette intrigue ne peut avoir que des fins politiques, la dénonciation de ces pouvoirs surpuissants et injustes qu'exècre Ayerdhal. Mais, il faut bien du temps avant de mettre un nom sur les adversaires qui s'affrontent, au milieu desquels Alexander a cru bon de débarquer, comme un chien dans un jeu de quilles. Ou un chat, plutôt, on y revient.

On découvre alors que "Bastards" s'inscrit dans une tendance forte de l'imaginaire actuel, dont je ne peux pas vous dire grand-chose, mais faites-moi confiance (si, si, c'est possible...). Une tendance que Ayerdhal ne fait pas qu'épouser mais renouvelle avec le talent qu'on lui connaît. Ainsi qu'une bonne dose de révolte et une ironie mordante qu'on trouve dès les premières lignes.

Ah, on me dit dans l'oreillette que si je continue, je suis parti pour faire long, trop long, alors j'enchaîne et j'en arrive au passage que vous êtes nombreux à attendre : celui consacré aux chats. Depuis le début de ce billet, ils ont été discrets. Pourtant, dans le livre, ils sont omniprésents. Il y a le chat qui aide Cat-Oldie contre ses assaillants, Folsky, le chat d'Alexander... Et une myriade d'autres félins...

Là encore, il va me falloir jouer de l'ellipse, car je ne veux pas tout dévoiler. Oui, les chats sont au coeur de ce thriller. Leur rôle est fondamental, mais leur comportement aussi. Car ils ne sont pas uniquement montré sous leur jour le plus positif et affectueux. Non, on voit sa difficulté, parfois, à se montrer sociable et à fonctionner en meute.

Atout indéniable, le chat est aussi parfois un handicap quand il faut gérer, disons, les ego, les relations entre chats, capables de se cajoler autant que de sortir griffes et crocs pour défendre leurs positions. Et là, les chats présents dans "Bastards" ont un caractère bien trempé, c'est peu de le dire. Mais aussi un instinct et des capacités très développées et fort utiles dans le combat qui se prépare.

Je n'ai pas de chat à la maison, mais je pense que beaucoup de leurs amis humains reconnaîtront parfaitement les actions et réactions de leur animal préféré dans "Bastards". Mais, au-delà du felis silvestris catus, le chat domestique, quoi, c'est toute la famille féline qui est mise à l'honneur dans le thriller d'Ayerdhal. Soyez prévenus, et même les allergiques peuvent en profiter sans risque !

Autre personnage clé de ce roman : New York. La ville elle-même joue son rôle dans "Bastards", mais pas seulement sa géographie ou sa topographie, non, elle est un être vivant, en mouvement, surprenant... Il faut dire que, longtemps, Alexander préfère voir dans les phénomènes auxquels il se retrouve confronté, la main de Harry Houdini, le fameux illusionniste... Ca rassure, de conserver un esprit cartésien, quand tout tangue et qu'on n'a plus le contrôle de rien...

New York vit et bouge sous nos yeux et l'un de ses moteurs est sa littérature, elle aussi omniprésente dans le roman, soit par le biais de références, soit par l'implications d'auteurs célèbres, transformés en personnages de fiction. Une dizaine apparaissent dans le cours du roman, tous des connaissances d'Alexander Byrd, des amis, parfois...

Outre Colum McCann, déjà évoqué, les deux romanciers qui jouent le rôle le plus important dans "Bastards" sont Jerome Charyn et Norman Spinrad. Deux New-Yorkais pu sucre, deux septuagénaires en pleine forme que ce taquin d'Ayerdhal met dans des situations impossibles et dangereuses... Mais qui vont être d'une aide précieuse pour leur cadet, Alexander...

Plus globalement, "Bastards" respire la littérature, mise à l'honneur tout au long du livre. New York, ville qui a vu naître tant d'écrivains talentueux qui ont su chanter la "Grosse Pomme", la mettre en valeur, en faire the Place to be, "I want to be a part of it, New York, New York", faites sonner les cuiv... Euh, excusez-moi, je m'emporte...

Plus sérieusement, ce lien indissociable entre New York et ses écrivains est ici mise remarquablement en valeur et Ayerdhal s'amuse avec malice à faire évoluer ses personnages dans ce microcosme littéraire si particulier. A moins que ce ne soit l'inverse : des écrivains qu'on lâche au milieu de personnages fictifs, dirigés par l'inspiration d'un autre...

Enfin, et je tenais à finir avec cet aspect du roman, Ayerdhal met la femme à l'honneur dans "Bastards". Oui, je sais, cette phrase et ce titre pour la terminer, c'est assez curieux, comme formulation... Mais, ne vous fiez pas aux apparences. La femme est au coeur de ce roman et ébranle à le faire vaciller sur ses bases ancestrales le patriarcat dominant.

Bien sûr, c'est Alexander Byrd qui est au centre de tout ce qui se passe dans le livre, à la fois déclencheur, victime collatérale, acteur malgré lui, ciment de son clan et pion indispensable. Mais les femmes sont nombreuses autour de lui, des femmes fortes, puissantes, indépendantes, libres, en tout cas, libérées des carcans sociaux traditionnels (elles ont d'autres entraves)...

Toutes ne sont pas forcément très sympathiques, soyons francs, mais elles ne se laissent pas faire et leur courage est à toute épreuve, comme leur solidarité, malgré les différends et les rivalités. Chacune a ses spécificités et on s'y attache, même si l'on se sent moins proches de certaines que d'autres...

Et puis, il y a celle que j'ai surnommé Cat-Oldie, pour reprendre celui qui lui est donné au début du roman. Oh, je voudrais lui consacrer plusieurs paragraphes tant il y a à dire sur ce magnifique personnage. Elle dirige, commande, surprend, prend à contre-pied, anticipe, organise, manipule, aussi, quelquefois... Elle rayonne !

Oui, j'ai aimé ce personnage en particulier, de part le mystère qui l'entoure également. Parce qu'elle se moque d'Alexander et nous fait nous aussi, lecteurs, tourner en bourrique. Parce qu'on se dit que rien de ce qu'elle raconte n'est vrai et que, en même temps, on ressent le besoin impératif de lui faire une confiance aveugle. Alexandre et le lecteur patauge, elle montre la voie, sereine, sûre d'elle...

Les femmes tenaient déjà des rôles majeurs et actifs (le contraire de "potiche", rôle trop souvent dédié aux personnages féminin dans le thriller) dans les précédents thrillers d'Ayerdhal. Dans "Bastards", elles prennent carrément les commandes et mènent (presque) à leur guise l'intrigue. Et c'est réjouissant, rafraîchissant... Même si elles mettent les nerfs du lecteur à rude épreuve et lui imposent une large palette d'émotions...

Voilà, je ne savais pas trop dans quoi je m'engageais en commençant ce billet, j'ai navigué à vue avec seulement quelques bouées que je voulais franchir, mais je suis arrivé à son terme sans trop d'encombre, sans avarie notoire. L'objectif était de ne pas trop en dire sur l'histoire tout en évoquant des thèmes qui m'ont marqué... Avec, j'espère, une envie de lire "Bastards" qui vous gagnera.

C'est un vrai thriller fantastique, dans lequel Ayerdhal, fin connaisseur du genre, glisse un soupçon de science-fiction. Le rythme est soutenu, la tension monte périodiquement avant de culminer dans le dénouement et l'on est mené par le bout du nez dans cette histoire au point de ne plus trop savoir où l'on va, ni pourquoi.

Les questionnements s'accumulent, dans l'esprit d'Alexander comme dans celui du lecteur, et les réponses ne se révéleront que progressivement pour nous donner le coup de grâce. C'est rudement bien ficelé, on n'oublie pas de détendre l'atmosphère malgré le drame qui se noue avec force humour et ironie.

Et si l'on retrouve des thèmes chers à l'auteur, il sait encore une nouvelle fois magistralement se renouveler, dans le fond comme dans la forme. Le fantastique n'y est pas un gadget ou une cerise sur le gâteau, mais un ingrédient principal sans lequel le plat n'aurait plus le même goût. A tel point que j'aurais bien pris un peu de rab...

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