vendredi 3 avril 2015

"La mort encourageait la vie à ne pas baisser les bras, à éclater, à rayonner, à tout donner, à ne jamais s'arrêter, et à rager de devoir un jour s'éteindre".

19 ans, 3 romans déjà publiés. Le dernier roman en date de cette jeune romancière, Carmen Bramly, a été récemment publié chez Lattès et s'intitule "Hard de vivre" (jeu de mots, un euro dans le nourrain ; ouh là, je n'ai plus 19 ans depuis longtemps, moi, avec des références pareilles...). C'est d'ailleurs un roman générationnel qu'on a en main, ce qui ne veut pas dire qu'il ne s'adresse et ne peut toucher que les 16-22 ans. Au contraire, j'en suis certain, c'est aussi à nous, plus âgés, que s'adresse ce livre, pour comprendre la difficulté de cette génération Z à appréhender le monde qui l'entoure. A entrer dans cet âge adulte qui, paradoxalement, n'a sans doute jamais été aussi incertain. Et, derrière le sombre contexte dans lequel évoluent les personnages, une mue, pour passer de la chenille au papillon.



Une soirée, dans un appartement, à Paris. Des jeunes, beaucoup d'adolescents. Plus que prévu, la faute à ses réseaux sociaux qui diffusent les informations bien au-delà du raisonnable. De la musique. De l'alcool. De la drogue, aussi. Et une jeune fille, qui porte une curieuse perruque aux couleurs de l'arc-en-ciel. Elle sniffe. Trop. Elle tombe. Elle est morte.

Alors que la police arrive, c'est la débandade. Cinq des participants parviennent à quitter l'appartement par une porte dérobée et se retrouvent enfermés dans une cave obscure, jusqu'à ce que tout risque de tomber sur un uniforme et de devoir donner d'embarrassantes explications soit écarté. Une fuite et une planque qui vont sceller l'amitié de ces gamins, car c'est ce qu'ils sont encore.

Il y a là Henri et Thomas, deux colocataires, aussi inséparables qu'ils sont différents, le blanc mince et le noir grassouillet. Deux jeunes hommes qui portent un secret communs et essayent d'avancer, tant bien que mal, dans un monde où tout va contribuer à les montrer du doigts, eux qui n'aspirent qu'au calme et à la discrétion.

Il y a Bethsabée, fille d'architectes et gamine un peu rebelle. Pas très expansive, partageant peu ses sentiments, c'est sans doute elle qui va réagir le plus mal au traumatisme provoqué par la mort de la fille aux cheveux arc-en-ciel. Elle va en effet plonger dans la drogue, sous toutes ses formes. Des expériences, risquées, dangereuses, destructrices, mais qui permettent d'oublier, de s'étourdir.

Il y a Pop, 19 ans, ami d'enfance de Bethsabée. Issu d'un milieu pauvre, d'une famille d'origine portugaise, il se rêve écrivain. Et souffre de l'image que lui renvoie cette famille qui lui fait honte. Timide, peu sûr de lui, trop vite monté en graine, maigrichon et pourtant non dénué de charisme, il va larguer bien des amarres après cette funeste soirée, même si le chemin vers l'indépendance est encore long.

Il y a Sophie, la plus jeune de la bande. 16 ans. Une famille disloquée, une mère qu'elle ne connaît pas un père qui va de conquête en conquête et une belle-mère qui l'a prise sous son aile. Une jeune fille aux origines métisses qui dégage, malgré elle, une incroyable sensualité. Elle n'a pas froid aux yeux, mais, témoin direct de la mort de la fille aux cheveux arc-en-ciel, elle va devoir digérer sa terrible culpabilité.

Enfin, il y a le sixième mousquetaire, si je puis dire. Lui n'étais pas dans la cave, ayant quitté la fête très tôt, car il s'y ennuyait. Johannes a 22 ans, il étudie la psychologie, vit aux crochets de ses parents, se la joue intello et grand héros romantique, la chevelure au vent... Mais, de tous ces personnages, c'est sans doute lui qui est le plus immature. Et la lame de fond qui va l'emporter ne le laissera pas indemne.

De tous ces personnages, ce sont ces trois derniers qui vont être véritablement au coeur de "Hard de vivre". Ils vont former un triangle amoureux complexe, à ma dérive, s'accrochant les uns aux autres comme des naufragés à des planches de salut. Pop et Johannes, les deux meilleurs amis du monde, eux qui ont toujours été si solitaires, mais aussi en concurrence pour gagner le coeur de Sophie, qui arbitre le duel à sa façon...

Mais, il n'y aura pas de guerre, des frictions, oui, dans tous les sens du terme, mais pas de bagarre, les uns ayant trop besoin des autres pour ne pas se laisser engloutir par le désespoir suscité par la mort de la fille arc-en-ciel. Oh, cette overdose a sans douté été un simple révélateur d'un mal-être antérieur, mais c'est aussi un point de départ fondamental pour ces jeunes gens.

Nous allons les suivre pendant une année, le temps qu'il va leur falloir pour assimiler ce qu'ils ont vécu, pour que la fille aux cheveux arc-en-ciel cesse de venir les hanter ou influencer leurs choix. Ils vont faire un tas d'expériences, de découvertes, vont jouir, rire, pleurer, douter, croire, penser, réfléchir, avancer, se perdre, changer, oui, changer surtout.

Changer, parce qu'ils vont aussi se découvrir. Génération sans véritable repère, quels que soient leurs milieux, leurs origines, leur éducation, leur parcours, leurs aspirations, il leur faut maîtriser des paramètres bien difficiles pour d'aussi jeunes gens. Et surtout, affronter un doute existentiel profond, car l'avenir est bien loin d'être acquis.

Pendant cette année, Johannes, Sophie, Pop et Bethsabée, qui sont vraiment les personnages centraux de cette histoire, vont se fabriquer eux-mêmes les rites de passage auxquels n'ont plus droit ces générations contemporaines. Sans brûler les étapes, mais en zigzaguant, parfois, ils vont quitter progressivement l'adolescence et ses oripeaux pour revêtir leurs tenues d'adultes.

Allez savoir pourquoi, cet esprit d'escalier qui me caractérise mène parfois à des étages inattendus, en lisant "Hard de vivre" et en voyant s'ébattre Sophie, Pop et Johannes, je pensais à Jules et Jim cherchant à conquérir la belle Catherine. Mais, entre les deux amis de 2015, pas de Première Guerre Mondiale, pour exacerber la rivalité, mais une certaine solidarité, car on va plus loin en avançant groupé.

Pas de guerre, mais bien d'autres difficultés dans une société où rien n'est garanti, où les rêves le restent longtemps, où l'on avance à tâtons tant le brouillard est épais. Aucun de ces gamins ne peut dire ce qu'il fera ou sera vraiment plus tard. Alors, oui, c'est compliqué, et l'on se bat autant contre le monde entier que contre soi.

Ce contexte difficile, on l'entrevoit, en arrière-plan de cette histoire et l'on comprend bien que tous sot logés à la même enseigne. Qu'ils soient des oisillons tombés trop tôt du nid ou des "Tanguy" qui ont bien du mal à couper le cordon, tous, même Bethsabée et Johannes, issus de milieux favorisés, manquent de certitudes et d'assurance.

C'est cette mort horrible, inattendue, dans une fête franchement sinistre, qui va les projeter comme par l'onde de choc d'une explosion, vers un mûrissement accéléré. Un processus que les questions sentimentales vont également nourrir, car le ménage à trois ne peut être qu'un état temporaire. Adulte, chacun prendra ses responsabilités.

Le lecteur, lui, suit attentivement ces tribulations, souvent concentrées dans l'appartement de Johannes, devenu le QG de la bande et le domicile principal de notre trio. Parfois, il est attendri, souvent, il est agacé. Il faut dire qu'il y a quelques coups de pied au cul qui se perdent, et même quelques claques...

Johannes et Bethsabée, en particulier, peuvent se montrer très horripilants, et, du haut de notre âge canonique, je parle pour moi, évidemment, on a envie de leur crier de cesser leur enfantillages et de grandir un peu. Et à Pop, de se remuer, parce qu'il a de l'or dans les mains, et dans le crâne, celui-là. Bref, on voudrait les aider, les rassurer, les encourager ou les bousculer, alternativement.

"Hard de vivre", c'est la chronique de cette génération si particulière, qu'on décrie si souvent, et qui a surtout besoin qu'on lui balise le parcourt. Oh, ne tombons pas dans le célèbre refrain "C'était mieux avant". Sans doute notre, nos génération(s) avai(en)t elle(s) aussi leurs atouts et leurs inconvénients. Sans doute avons-nous eu aussi nos doute, commis nos erreurs, mis nos doigts dans la prise et appris à ne pas recommencer, etc.

Mais Carmen Bramly offre un regard de premier plan sur ces jeunes gens dont elle fait partie. Elle aussi a connu ces expériences, ces doutes, ces erreurs, vu ce que la drogue peut faire comme ravages, a écrit ce roman après la perte d'un de ses amis, victimes de ce fléau... Elle y met une certaine noirceur, c'est évident, on peut même trouver que ces jeunes ont bien du mal à simplement s'amuser, mais, pour autant, il y a quelque chose de lumineux dans le parcours de cette bande.

On n'est pas dans un optimisme béat ou furieux, non, mais dans le simple espoir de prendre son envol, de déployer ses ailes et, même maladroitement, de gagner son indépendance. Rien ne sera vraiment simple, on l'imagine, et on termine ce roman en se demandant ce que seront devenus Johannes, Sophie, Pop, Bethsabée, Thomas et Henri dans dix, vingt ans. Quels adultes ils seront.

Enfin, dernier point, rapide, car, encore une fois, j'ai bien dû mal à juger du style des écrivains. Pour moi, malgré ses 19 ans, Carmen Bramly écrit de façon littéraire, avec pas mal de références, d'ailleurs. L'influence de ses études, en khâgne. D'une certaine manière, l'écrivain est à l'image de la jeune femme : en pleine croissance, en plein apprentissage, aussi. Et il y a de bonnes bases.

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