mardi 5 mai 2015

"Je suis censé n'avoir qu'une raison de vivre : la défense de notre religion et de valeurs auxquelles nous croyons. Et, selon moi, la justice est la première d'entre elle".

Phrase de titre un peu longue, je m'en excuse, mais il fallait cela pour planter le décor de notre roman du jour. J'aurais pu (dû ?) aller chercher ce titre dans une oeuvre classique, vous allez vite comprendre pourquoi, mais je n'en ai eu ni le temps, ni franchement le courage, je l'avoue, bien que la lecture du texte en question ne serait pas forcément pour me déplaire. Voici un étonnant roman, puisque c'est incontestablement un space opera, donc un roman de science-fiction, mais, de part son sujet et sa base historique, on ne serait pas loin d'avoir en main un roman de fantasy... Avec "Dominium Mundi" (en grand format chez Critic), François Baranger nous emmène dans une étonnante aventure spatiale, mais pas seulement. Car, ce sont bel et bien les croisades que le romancier a transposé dans le futur et dans l'espace, s'inspirant, au passage, de la Jérusalem délivrée, l'oeuvre du Tasse. Et, dans ce premier tome de ce diptyque, on voyage vers cette nouvelle Terre Sainte, bien lointaine...



Depuis la Guerre d'Une Heure, qui s'est déroulée un peu plus d'un siècle plus tôt, le monde a bien changé. Certaines régions sont devenues totalement inhabitables, dont le Proche-Orient, et, dans la majorité des régions encore vivables, c'est l'Eglise qui a repris la main, instaurant "le Dominium Mundi", sous la férule du pape Urbain IX.

Le "Dominium Mundi", concept qui remonte au Moyen-Âge, c'est l'extension du monde chrétien, sur le modèle de l'empire romain, auparavant. Une mission spirituelle et d'évangélisation qui n'est pas toujours facile. Mais, en cette année 2202, la mainmise du Vatican sur la surface terrestre est quasi totale et l'Eglise n'a sans doute jamais été aussi puissante.

Désormais, c'est bien plus loin que Urbain IX entend étendre le "Dominium Mundi". Des voyages spatiaux ont été organisés, au-delà de notre système solaire, pour conquérir de nouveaux territoires. C'est Alpha du Centaure qui a été choisi pour destination, mais, une fois sur place, les missionnaires ont connu quelques surprises. Des bonnes... et des mauvaises.

Les mauvaises, c'est que la planète sur laquelle ils ont atterri était habitée et que le peuple autochtone, les Atamides, s'est montré particulièrement virulent. Les armées terriennes ont subi de cuisantes défaites, l'expédition a été quasiment intégralement décimée et les territoires n'ont donc pas pu être conquis comme prévu.

Mais, avant d'être ainsi repoussés, les Terriens ont eu le temps de faire une incroyable découverte. C'est en effet sur cette planète lointaine que se trouve le véritable tombeau du Christ. La révélation, extraordinaire, tombe à pique, mais l'échec de l'expédition a quelque peu terni les puissantes sensations liées à la découverte majeure.

Alors, aux grands maux, les grands remèdes, décide Urbain IX. Comme un autre pape nommé Urbain, Urbain II, celui-là, quelques 11 siècles plus tôt, le souverain pontife décide de lever une gigantesque armée et de repartir en croisade. Cette fois, ce ne sont pas les déserts de Palestine qui verront les Croisés débarquer, mais cette mystérieuse et lointaine planète où vivent les Atamides.

Pour cela, les technologies les plus modernes ont été mises à contribution et, des usines, est sorti un gigantesque vaisseau, le Saint-Michel, chargé de transporter un million de personnes, soit une gigantesque armée et toute l'intendance qui se doit de l'accompagner dans un aussi long voyage. Une ville volante, et se déplaçant à une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière...

Lorsque le roman débute, on est à la veille du décollage de cette incroyable forteresse volante. Et l'on découvre celui qui sera le personnage central de cette aventure : Tancrède de Tarente. Le héros, au sens littéraire du terme. Un homme sans peur et sans reproche, un méta-guerrier, le plus haut échelon en termes de valeurs pour les soldats.

Tancrède est un soldat, issu de la petite noblesse normande. Sa famille n'est pas riche, au contraire, elle peine à conserver ses terres. Mais, la vocation du jeune homme est de se battre et participer à l'extension du "Dominium Mundi". L'occasion de se couvrir de gloire, ce qui n'est pas vraiment ce qu'il cherche, mais surtout, de conquérir ce territoire pour faire du lieu où se trouve le véritable tombeau du Christ une terre chrétienne.

Pourtant, peu à peu, on va découvrir, au fil des péripéties qui se déroulent lors de ce long voyage, que Tancrède n'est pas aussi monolithique qu'il n'y paraît, qu'il n'est pas imperméable au doute. Pas en ce qui concerne sa foi, elle, elle est inébranlable. En revanche, ses doutes sont plus terre à terre, plus politiques. Car "Dominium Mundi" n'est pas seulement un roman de SF, c'est aussi un vrai roman de politique fiction.

A bord du Saint-Michel, on a en effet un aréopage de personnalités importantes du monde chrétien. Des soldats, bien sûr, comme Godefroy de Bouillon ou encore ce seigneur normand, Robert de Montgomery, que certains surnomment le diable, ennemi juré de la famille de Tancrède... Mais aussi des personnalités charismatiques, capables d'entraîner à leur suite ce gigantesque régiment.

Là, je pense à Pierre l'Ermite, dont l'influence auprès du pape est énorme, mais qui n'est ni un politique, ni un soldat et encore moins un chef de guerre. Sa position à la tête de la croisade ainsi que sa relation particulière avec Urbain IX font grincer des dents et la situation, entre les leaders de la croisade est souvent tendue.

Ces tensions, mais aussi les missions qui se dessinent et que font devoir accomplir Tancrède et ses hommes une fois sur le terrain, voilà ce qui fait douter le méta-guerrier, car cela ne correspond pas vraiment à l'idéal chrétien qu'on lui a enseigné. Et le colosse se pose bien des questions, qui vont être amplifiées par une rencontre fortuite.

Albéric est à l'opposé de Tancrède dans l'organigramme de la croisade, si vous permettez ce terme. Lui ne voulait pas partir, bien au contraire, mais ses connaissances techniques lui ont valu d'être enrôlé de force pour faire fonctionner le Saint-Michel. Malgré la fascination qu'exerce la fabuleuse technologie embarquée sur le vaisseau, Albéric, qui n'a rien d'un combattant, garde au coeur un certain esprit de rébellion.

Entre les deux hommes, et malgré le danger, pour l'un comme pour l'autre, que représente cette amitié naissante, le courant va passer. Et la belle stature de Tancrède va commencer à vaciller. Le doute, c'est vrai, mais les attaques, aussi, qui vont redoubler contre lui. Car l'homme est impétueux, irascible, bagarreur. Un peu trop.

Ajoutez à ce contexte politique délicat, un mystère en apparence bien différent, mais pourtant loin d'être anodin. On tue sur le Saint-Michel. Et d'une façon qui a de quoi inquiéter en haut lieu. Aurait-on embarqué un clandestin extrêmement dangereux, possédant des aptitudes effrayantes sur le bâtiment ? Et si c'est le cas, quel objectif poursuit-il ?

Tancrède, qui a des raisons personnelles d'enquêter sur cette affaire, va vite comprendre que le sujet est sensible et qu'il commence à déranger au sommet de la hiérarchie. De quoi renforcer son impression qu'on lui cache tout, qu'on ne lui dit rien. De quoi renforcer son entêtement à découvrir la vérité. Et de quoi donner des atouts supplémentaires à ses ennemis, déclarés ou plus discrets, pour l'abattre, s'il devient trop gênant...

Voilà, j'ai à la fois survolé ce roman et en même temps, essayé de vous en donner un aperçu complet. Vous l'aurez aisément compris, si ce premier tome fait ses 600 pages, ce n'est pas pour rien, il se passe énormément de choses lors de ce voyage vers l'inconnu. Je me suis concentré sur Tancrède qui est vraiment le centre de ce roman, qu'il porte sur ses larges épaules.

François Baranger nous fait vivre le quotidien de cette troupe incomparable, vivant à la fois en huis-clos, et pour cause, mais évoluant comme sur terre, jusqu'aux spectaculaires entraînements militaires auxquels on assiste, médusé, et qui, à plusieurs reprises, seront des moments importants de l'intrigue. On pourrait croire qu'on va s'ennuyer, mais en fait, il y a très peu de temps morts.

Comme souvent, la multiplicité des situations et des unités de lieux, permet de jouer avec tout cela, en répondant à un possible temps faible sur une scène, par une autre scène, dans un autre lieu, avec un nouvel enjeu. Que ce soit le voyage lui-même, le temps qu'il faut tuer, mais aussi les questions politiques, les luttes de pouvoir, l'enquête criminelle et même, eh oui, les histoires d'amour, il y a effectivement de quoi faire.

Et surtout, sont installés progressivement tous les éléments qui vont permettre au tome 2 de démarrer, et sans doute, d'annoncer une croisade plus compliquée que prévu. François Baranger ouvre là une épopée science-fictive assez étonnante, car le mariage entre le concept médiéval que sont les croisades et la dimension futuriste se fait naturellement.

Ce n'est pas neuf, on songe à a série "Ulysse 31" ou à Dan Simmons, dans "Ilium" et "Olympos", qui revisitaient, par exemple, la mythologie grecque et l'oeuvre d'Homère. L'époque est différente, on passe du polythéisme antique au monothéisme médiéval pur et dur et, forcément, cela modifie sérieusement le contexte.

Sans oublier cette possible rébellion qui couve, à la fois en opposition à l'arbitraire des hommes, mais aussi dans un rejet de la religion. Pourtant, ce n'est sans doute pas l'athéisme qui est le plus redoutable adversaire des Croisés, mais plutôt les dissensions qui existent entre les clans se revendiquant pourtant tout de Dieu et du pape.

Difficile, dans un vol spatial, de conserver le souffle épique qui doit habiter une épopée de ce genre. Et je trouve que Baranger relève parfaitement ce défi. Sur 600 pages, on ne peut pas attendre de l'action sans arrêt, mais les rebondissements et les tensions qui s'exacerbent, viennent souvent compenser cela.

Et puis, il y a l'univers que cela suppose. Le lecteur prend vraiment place dans ce vaisseau, superbe et orgueilleux, et y vit avec la troupe et les autres. On visite, comme autrefois, on pouvait se balader dans l'Enterprise, au gré des épisodes de Star Trek. Et l'on découvre un monde foisonnant, une ville qui ne dort jamais, ou presque, et où règne, finalement, une certaine harmonie, malgré les incidents qui n'ont rien de vraiment surprenant, lorsqu'on rassemble un tel groupe humain.

Avec Albéric, on pénètre au coeur de la formidable machine qui fait avancer ce monstre de technologie. Et là aussi, on se laisse porter, on plonge dans l'intelligence artificielle que le jeune homme et ses camarades, tous enrôlés de force, ont pour mission de surveiller. Une espèce de chiourme, de piétaille, hélas considérée et traitée comme telle.

Ces hommes et femmes ne sont rien et subissent brimades et humiliations au quotidien, aussi bien durant leurs longues journées de travail qu'une fois abandonnés leurs postes de travail. De quoi renforcer encore le sentiment d'injustice de ces parias que seul Tancrède saura écouter, à ses risques et périls, autant qu'aux leurs.

Mon billet s'allonge, il est temps d'y mettre un terme. D'autant que suivra, sans doute prochainement, un second pour évoquer le deuxième volet de cet ambitieux projet. Je ne suis pas un grand adepte, ni un grand connaisseur de space opera, mais je me suis coulé aisément dans "Dominium Mundi" et j'ai agréablement voyagé dans le Saint-Michel, sans éprouver les quelques inconvénients "techniques" que doivent affronter les personnages.

Me voilà arrivé, avec Tancrède, ses amis, ses ennemis, ses hommes et, sans doute, quelques autres surprises pas forcément agréables, au large de la planète Akya du Centaure que la croisade doit maintenant conquérir. Reprenons notre souffle avant d'entrer dans le vif du sujet, les presque 800 pages du second volet.

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