jeudi 6 août 2015

"Ça se termine comme ça a commencé. Par un choix".

Notre roman du jour est un petit bijou de perversité et de sadisme. La violence psychologique qui y est exercée est à la fois d'une grande simplicité et d'une immense cruauté. Je me suis lancé dans cette lecture par curiosité, ne connaissant pas ce jeune auteur, dont c'est le premier roman, et je ne l'ai pas lâché. Sans doute y a-t-il des imperfections, mais pour moi, pour un premier thriller, c'est une véritable réussite. Direction Southampton, port et station balnéaire du sud de l'Angleterre, mais pas pour le côté carte postale des lieux. Avec "Am Stram Gram" (en grand format chez aux éditions les Escales), M.J. Arlidge, issu du monde de la télévision, fait une entrée fracassante en littérature. C'est noir, malsain, violent, déroutant et aucun des personnages que nous rencontrons n'échappe à ces qualificatifs. Préparez-vous à un voyage du côté obscur de l'âme humaine, celle qui sommeille en chacun de nous, ne l'oubliez pas...



Sam et Amy s'aiment. Un couple uni qui, au retour d'un concert, à Londres, a décidé de rentrer en stop chez lui. Il fait nuit, il pleut, les voitures passent sans même les voir, jusqu'à ce qu'une camionnette fasse signe aux deux jeunes gens et s'arrêtent. Un conducteur super sympa qui leur offre même de quoi se réchauffer, couvertures et café.

Enfin, super sympa, c'était avant de se réveiller au fond d'une piscine vide et manifestement abandonné depuis un bail. On a retiré les échelles et, au fond du grand bain, les deux amoureux sont prisonniers d'une prison à ciel ouvert. Impossible de sortir de là sans aide... Et, autour d'eux rien. Ou presque... Seuls deux objets sont posés à portée de leur main.

Un téléphone portable et une arme à feu. La batterie du mobile est chargée au maximum et, lorsqu'il sonne, une voix inconnue glisse à l'oreille d'Amy qu'il n'y a qu'une solution pour vivre : que l'un des deux prisonniers tue l'autre... Effroyable dilemme, à côté duquel Corneille fait soudain bien pâle figure. Amy aime Sam, Sam aime Amy, comment l'un pourrait-il simplement envisager d'abattre l'autre ?

Lorsque l'on retrouve Amy, errante, sale, désorientée, détruite, deux semaines se sont écoulées. La police de Southampton découvre le corps de Sam au fond de cette piscine désaffectée et comprend alors quel drame terrible s'est joué là, les conditions atroces de la détention et le machiavélisme dont fait preuve le ravisseur du couple.

Helen Grace est commandant de la police de Southampton. C'est elle qui se retrouve chargée de mener l'enquête sur cette bien étrange affaire. A ses côtés, ses deux adjoints, Mark Fletcher et Charlene Brooks, qui forment une excellente équipe. Mais là, l'horreur de ce qu'il rencontre les frappe sèchement, eux qui pensaient déjà en avoir vu des vertes et des pas mûrs.

A part le témoignage d'Amy, traumatisée et pas franchement coopérative, on peut le comprendre, les policiers n'ont pas grand-chose à se mettre sous la dent. Le mystérieux ravisseur n'a pas laissé la moindre trace derrière lui pouvant servir d'indice, il va donc falloir se débrouiller avec rien, ou presque, pour l'empêcher de faire de nouvelles victimes. Ce qui semble inévitable...

Le lecteur, comme Helen Grace, se retrouve face à une affaire hors norme. Pire, le lecteur, lui, est le témoin de la lente agonie des victimes, de la séance interminable de torture psychologique que leur inflige leur ravisseur. Pas d'eau, pas de nourriture, des conditions d'hygiène épouvantables, le stress... Et ce choix, sinistre, qui transforme l'épée de Damoclès en revolver...

Cette décision -­­­­ tuer pour vivre, quelle transgression ! Celle du plus grand des tabous de nos sociétés ! -, c'est peut-être ce qu'il y a de pire, au final. Car, avec la fatigue, la faim, la soif, l'affaiblissement général que cela entraîne, elle se fraye un chemin dans l'esprit des victimes comme un ver vorace... Combien de temps peut-on tenir avant de renoncer à ce qui fait notre humanité ?, voilà la question qu'on se pose...

Helen Grace comprend sans doute mieux que tout le monde la noirceur de tout cela. Flic compétente et respectée, on découvre, par petites touches, qu'elle cache sous son blouson de motard et sa carapace de commandant, une âme pour le moins tourmentée. En ténèbres personnelles et ténèbres professionnelles, on se dit qu'elle va devoir prendre garde de ne pas se perdre...

D'autant que cette solitaire, qui sait déléguer, va devoir faire avec les doutes et les problèmes de ses deux adjoints, qui, eux aussi, semblent traverser une passe délicate. En particulier Mark, qui vit très mal sa séparation d'avec son épouse et se soigne avec un traitement très alcoolisé qui n'est certainement pas le meilleur remède.

Mais, face à l'adversaire qui se profile, il faudra bien à tous être sur leurs gardes, attentifs et réactifs. L'enquête a tout du casse-tête et il est certain que si le ravisseur frappe de nouveau, voire plusieurs fois, Grace et ses hommes risquent de se retrouver rapidement sur la sellette médiatique, avec une jolie psychose à gérer en plus de l'affaire proprement dite.

L'un des grands intérêts de ce thriller, c'est justement l'état d'esprit des flics qui doivent mener l'enquête. Loin d'être des archétypes de héros sans peur et sans reproche, indestructibles et inoxydables, Helen, Mark et Charlene sont plein de failles, de doutes, de peurs, aussi. Et il y a même quelques démons profondément enfouis qui ne demandent qu'à se libérer...

Entre l'abomination des faits sur lesquels ils enquêtent, le côté très nocturne, ou de toute manière, très sombre, qui préside à une bonne partie du livre, et ces flics à l'aura brouillée, tout concorde pour angoisser le lecteur et le plonger dans un univers oppressant. Et M.J. Arlidge tient son pari en réussissant à maintenir cette chape d'un bout à l'autre du livre.

Et, pour cela, il fait des lieux où se déroule l'action de véritables personnages à part entière. La ville de Southampton dans laquelle il nous entraîne est bien loin de la cité historique et touristique qui vous apparaîtra si vous allez sur un moteur de recherche. Dans "Am Stram Gram", on découvre une ville abîmée, qui semble conserver des traces profondes des crises successives, bien moins florissante qu'on pourrait le croire...

A l'image de la piscine abandonnée dans laquelle on se trouve dès les premières pages, aux côtés des malheureux Amy et Sam, d'autres sites dans lesquels se rendent les personnages sont aussi sinistres, en voie d'abandon, tombant en ruines, même... Des sites qu'on pourrait presque croire hantés, et pas par des ancêtres des clans écossais, comme les châteaux du nord de l'île.

Non, ici, les fantômes n'ont vraiment rien d'engageant, ça sent la souffrance, la misère, le malheur et ce déclin d'une ville portuaire si importante (souvenez-vous, c'est de Southampton que s'élancèrent, à quelques siècles d'intervalle, le Mayflower et le Titanic) est plus frappant encore lorsque l'on se retrouve sur les docks, où l'on se croirait presque revenu dans des scènes de Dickens se déroulant sur les quais de la Tamise.

Je dois dire que ces éléments sont pour moi, lecteur assidu de thrillers, une vraie plus-value. Car, si l'intrigue centrale d' "Am Stram Gram" est, en elle-même, très intéressante, tout le contexte qui l'enrobe et vient noircir encore le tableau, est une grande réussite. On évolue dans une obscurité qui va en s'épaississant et cela participe largement à l'attraction du livre sur le lecteur.

Et puis, il y a Helen Grace... Je crois que je pourrais rédiger un billet sur elle seule, en fait. Voilà un personnage qui marque. Lorsque l'on dit qu'on se construit une carapace pour se protéger de l'extérieur, voilà une femme qui en est le parfait exemple. La première rencontre avec elle (non, je ne vous dirai rien, enfin !) est mémorable et plante d'emblée le décor.

Oh, il y aurait matière à se lancer dans une analyse psychologique du personnage, mais je ne le ferai pas, à vous de voir, mais, il se dégage quelque chose de très énigmatique de cette femme. Rien de maléfique, comme cela se produit quelquefois, mais de sombre. Tourmenté, ai-je dit plus haut, je ne trouve pas de mot plus adéquat.

Ou peut-être expiation... Oui, par certains aspects, Helen Grace paraît agir, dans sa vie privée, pour expier. Faire le bien autour d'elle, à condition que cette étrange expression ait un sens, tout en ne se ménageant pas, voilà ce qui semble être le credo de la commandant Grace. Et, d'une certaine façon, ce choix de faire carrière dans la police et de traquer des tueurs participe à cette logique.

Je dois dire que, indépendamment du récit et de son enquête, on a envie d'en savoir plus sur Helen Grace. Entourée d'un mystère qu'elle a su préserver, y compris auprès de ses collègues, qui se sont sans doute posés le même genre de questions à son sujet que le lecteur, avant de renoncer devant son mutisme, c'est un personnage magnétique, fascinant, séduisant, aussi, même si c'est pour son côté presque venimeux...

Je ne sais pas si M.J. Arlidge fera de Helen Grace un personnage récurrent, et pourtant, j'aimerais poursuivre la route avec elle, voir ce qu'il va advenir d'elle après cette affaire qui a tout du point culminant d'une carrière de flic. Et, d'un point culminant, on peut aussi tomber, et de haut... Wait and see, même si j'ai quelques doutes sur la question.

En revanche, quoi qu'il nous propose, je suis curieux de voir si cet auteur débutant mais particulièrement doué, saura transformer l'essai dans un prochain thriller qui saura nous dérouter et nous oppresser de la même façon. Oui, il faut clairement noter ce nom, M.J. Alridge, dans la marge et s'armer de patience, parce que c'est incontestablement une plume à suivre.

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