jeudi 13 août 2015

"Je suis comme un papier tue-mouches où le malheur viendrait se coller (...) L'homme aux semelles de guigne".

Encore un roman avec des anarchistes, ma réputation va bientôt être faite ! Plus sérieusement, Voici un roman très intéressant, à la construction très particulière et qui pose pas mal de questions, que l'on partage ou pas les idées de l'auteur et des différents personnages. Après avoir énormément apprécié la lecture de "Tranchecaille" et avoir rencontré Patrick Pécherot aux Imaginales en 2014, il était dit que je reviendrai vers cet auteur à plus ou moins long terme. C'est fait, à travers la lecture de "l'homme à la carabine", en poche chez Folio, qui nous offre un portrait complexe et très touchant d'André Soudy, le plus jeune membre de la Bande à Bonnot. Le destin d'un gamin perdu et en rébellion permanente, mais qui s'est retrouvé piégé dans la spirale violente choisie par Jules Bonnot pour exprimer ses idées anarchistes, mais aussi par l'exemple que la justice et la police ont voulu faire d'eux, et qui a mené ce jeune homme idéaliste mais immature à l'échafaud...



A la fin de l'année 1912 et au début de 1913, André Soudy attend en cellule son exécution. Le garçon a tout juste 20 ans et les poumons ravagés par la tuberculose. Mais, il a été reconnu coupable par la justice d'avoir appartenu à la Bande à Bonnot et d'avoir pris part à certaines de ses actions les plus spectaculaires, le vol d'une voiture à Montgeron et l'attaque de la Société Générale de Chantilly, le même jour de mars 1912.

A chaque fois, les coups de feu éclatent et des hommes sont tués. André Soudy, armé d'une carabine, s'il a tiré, n'a en revanche tué personne. Mais, il va s'inscrire dans l'épopée sanglante de ceux que la presse de l'époque surnommera les Bandits Tragiques et son image, eh oui, l'image, déjà l'image, restera associée à celle de la photo prise de lui braquant une carabine vers l'objectif du photographe...

"L'homme à la carabine" n'est pas juste le récit de la courte vie de ce garçon, né dans une famille très pauvre du Loiret, devenu très jeune commis en boucherie et en épicerie, avant de se révolter contre ses conditions de travail et d'embrasser les idées révolutionnaires puis anarchistes. En quatrième de couverture, on trouve le terme "roman-collage", qui définit parfaitement ce livre à mes yeux.

Mais on croise aussi, par exemple sur un célèbre réseau social, l'expression "roman esquisse", que je trouve également assez représentative, le travail de Pécherot tenant plus du portrait, avec tout ce qu'il peut y avoir de subjectif dedans, que de la biographie, même romanesque.

Ce roman patchwork offre des passages en italique où Soudy lui-même se raconte, d'autres qui retracent sa jeunesse, mais aussi les actions menées par la Bande à Bonnot et la traque sans merci qui va suivre, la police déployant alors des moyens incroyables pour, si possible, arrêter les membres de ce groupe anarchiste, ce qui se fera en différentes étapes et pas dans la simplicité.

Mais aussi de courtes digressions évoquant comment l'épopée des Bandits Tragiques a marqué l'imaginaire collectif (sans doute au-delà des milieux strictement anarchistes) jusque dans la culture populaire : on croise ainsi Arletty, Brassens, Ferré, Vian (qui aurait envisagé d'écrire un spectacle musical dédié à Bonnot et ses complices), Lavilliers et Léo Malet...

Sans oublier Colette, qui couvrit comme journaliste le siège de Choisy, lors duquel Bonnot fut tué et qui fut, pour l'époque un événement au retentissement incroyable, suivi et relaté quasiment en direct. Mais aussi Bruno Cremer et Jacques Brel, acteurs d'un film oublié consacré à la Bande à Bonnot à la fin des années 1960...

Enfin, les réflexions personnelles de l'auteur, dont on connaît les engagements politiques, qu'il exprime dans la plupart de ses romans. Et, à ce propos, on peu d'emblée s'interroger sur le choix de s'intéresser à André Soudy plutôt qu'à Jules Bonnot lui-même, par exemple. Or, pour moi, c'est certain, Pécherot agit ainsi car il considère Soudy comme une victime plus qu'un coupable...

Victime à la fois de la folie de certains de ses complices, dont Octave Garnier, véritable assassin, auteur de la plupart des meurtres perpétrés par la Bande à Bonnot, et de cette justice (de classe, diraient certains) qui n'a vu en lui qu'un participant actif aux crimes et s'est montrée intransigeante. Soudy sera décrit comme un criminel en puissance ce qu'il n'était sans doute pas.

Voilà ce que recherche Patrick Pécherot dans "l'homme à la carabine" : démêler les faits et la légende, ce que l'on sait de ce jeune homme révolté, c'est certain, mais décrit comme un être violent, ce qu'il n'a sans doute pas été, malgré sa participation à certaines actions sanglantes. Et poser aussi la question de la légitimité de la violence, celle qui tue, dans l'action politique.

Aujourd'hui, on dirait qu'il n'a pas le profil, cet André Soudy, avec sa respiration de soufflet de forge au moindre effort, le sang qu'il crache et son physique de gringalet. Sa détermination, elle, est pourtant immense et son engagement anarchiste ne se démentira jamais, jusqu'au moment où il embrassera la Veuve.

Un sentiment né de sa rébellion contre le destin qui l'a fait naître pauvre, qui l'a rendu malade si jeune et ne lui a jamais fait de cadeau. C'est lui qui prononce la phrase de titre de ce billet, auquel j'ai rajouté un des surnoms qu'il se donne dans un autre de ses monologues, hommage à un autre jeune homme épris de liberté, comme lui, Arthur Rimbaud.

Ensuite, Soudy est le fruit de deux doctrines en vogue, alors : le déterminisme social et l'illégalisme. Le premier explique que la société s'impose à l'individu en toutes circonstances. C'est donc la société qui fait que André Soudy est pauvre et qu'il n'a guère d'espoir de s'élever un jour dans la hiérarchie sociale. On retrouve ce terme sociologique à plusieurs reprises dans le discours du jeune homme.

L'illégalisme, il est plus revendiqué par Soudy dans les actes que dans les mots. L'idée est simple : puisque la société crée des riches et des pauvres, on retrouve le déterminisme, il convient de rétablir l'équilibre, quitte à s'affranchir de la loi. En cela, ces actes sont donc révolutionnaires, puisqu'ils remettent en cause l'ordre établi.

La Bande à Bonnot sera un des exemples forts de l'application de l'illégalisme, mais la violence à laquelle ils recourent, surtout à l'encontre des employés et convoyeurs de fonds, par exemple (à Chantilly, déjà évoqué, mais aussi, lors du premier coup d'éclat de la Bande, rue Ordener, juste avant Noël 1911), leur vaudra énormément de critiques, y compris à gauche.

Voler des puissants, redistribuer, en cela, ils pourraient apparaître pour des Robin des Bois, mais le sang va trop couler dans leur sillage. Sourdy, pourtant, est un enfant de l'illégalisme, si je puis dire, puisque dès son jeune âge, à l'époque où il était commis, il accomplira nombre de larcins, rarement à son profit, mais le plus souvent au bénéfice des clients de ses patrons.

Pour autant, je ne voudrais pas qu'en me lisant, vous voyiez "L'homme à la carabine" uniquement comme la chronique d'une série de faits divers. Bien sûr, cela retient l'attention, mais Patrick Pécherot s'intéresse à travers ses événements à l'anarchisme en ce début de XXe siècle, en France, et même au-delà des frontières de l'Hexagone.

Je vais vous faire une confidence, je ne suis pas au fait de l'histoire de l'anarchisme. J'ai des lacunes conséquentes en la matière, même. Alors, j'ai appris pas mal de choses qui auraient, pour certaines, méritées, je trouve, d'être plus développées (même si ce n'est pas le sujet central). A commencer par la vie communautaire à Romainville, là où se formera la Bande à Bonnot.

L'hygiénisme et le végétarisme imposés en particulier par Raymond Callemin, le fameux "Raymond la science", mais aussi les questions idéologiques et les débats théoriques autour de Victor Serge, autre figure de la Bande, qui, toutefois, se démarquera de Bonnot, justement en raison de la violence excessive instaurée.

Une vie en marge, rejetant l'ordre établi, choisissant l'insoumission pour dénoncer un Etat arbitraire, l'antimilitarisme, à une époque où les bruits de bottes commencent sérieusement à se faire entendre, sans patron, sans chef, sans ordres à recevoir, ni à donner, bien évidemment. Une certaine idée de la liberté, qui passe aussi par la revendication et le combat.

Cette vie qui va aussi les obliger à s'éloigner de la capitale. Et la Belgique sera aussi une destination prisée des anarchistes pour se faire oublier. On évoque souvent la voiture, quand on parle de la Bande à Bonnot, ces véhicules puissants et encore rares qu'ils utilisaient pour s'enfuir et semer les policiers, à pied ou à vélo après leurs braquages.

Mais, plus largement, la voiture, le train, les moyens de transports modernes, même si, à nos yeux, ils en sont encore à leurs rudiments, sont très présents dans l'épopée de la Bande à Bonnot. Preuve du pragmatisme et de l'intelligence de ces garçons, toujours à la recherche des moyens de mettre en échec les forces de l'ordre.

Alors, revenons à notre question de départ, une fois tout ceci posé : qui était donc André Soudy, l'homme à la carabine ? Il n'y a pas de réponse nette et franche à cette question. Seul Soudy lui-même pourrait y répondre, et encore. On sent la tendresse que lui porte Patrick Pécherot, qui comprend et partage sa révolte.

André Soudy n'a pas tué. Mais il était à Montgeron et à Chantilly... Complice de Jules Bonnot et membre à part entière de sa Bande. Un portrait, devant les Assises, qui l'a décrit avec force noirceur, malgré la pâleur de son visage à peine sorti de l'enfance et sa silhouette dégingandée. Sans doute n'aurait-il pas survécu longtemps à la détention ou pire, au bagne. Mais, la guillotine...

A chaque intervention, dans "l'homme à la carabine", André Soudy revient sur ce manque de chance qui l'accompagne depuis toujours, qui fait qu'il est toujours l'oublié, le délaissé. Même lorsqu'il monte sur un coup, particulièrement audacieux, avec Jules Bonnot, une visite pour le moins gonflé à la rédaction d'un journal parisien, le voilà oublié dans la cour par son complice parti sans lui...

En faisant ce choix de désaxer l'objectif pour laisser Bonnot dans l'ombre et braquer la lumière sur ce Poulbot souffreteux, personnage en clair-obscur, entre ange et démon, Patrick Pécherot réussit à faire plusieurs pierres d'un coup : distinguer la lutte anarchiste de la violence de la Bande à Bonnot, revendiquer ces idées de justice sociale qui, un siècle plus tard, demeurent et, enfin, faire justice à un jeune homme né sous une mauvaise étoile et que la justice n'a pas ménagé.

L'originalité de la construction, l'importante recherche documentaire (outre la photo de l'édition Folio, on trouve un certain nombre de clichés dans le livre lui-même), le côté romanesque allié à un message revendicatif fort, tout cela fait de cet "homme à la carabine" un moment de lecture riche et propice à la réflexion.

Une réflexion que nourriront certainement, comme ce fut le cas pour moi, les dernières lignes de ce livre, où Pécherot s'exprime en personne, en conclusion de son ouvrage. Quelques mots, non, je ne vous les écrirai pas, qui montrent toute la complexité du personnage d'André Soudy et le mystère qui entourera à jamais cet étrange garçon.

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