lundi 7 septembre 2015

"Vous ne devez pas désirer ardemment d'être aimé. On donne de l'amour à ceux qui, par altruisme, s'intéressent aux autres plus qu'à eux-mêmes" (Hugh Walpole).

Voici un premier roman qui paraît en ce début de mois de septembre et qu'il est bien difficile de classer. Son univers ferait plutôt pencher pour la fantasy, l'histoire, pour du fantastique. Mais, ne nous arrêtons pas à cela, c'est de la cuisine interne, et penchons-nous sur ce livre, signé par une jeune femme qui devrait peu à peu installer son univers dans le paysage de l'imaginaire francophone. Avec "Les neiges de l'Eternel" (en grand format aux éditions ActuSF), Claire Krust nous propose une histoire à la construction originale, qui ne révèle que dans les dernières lignes l'intégralité de son panorama, comme un puzzle dont on pose la dernière pièce. Le tout, dans un décor sombre et onirique, placé sous le signe de l'hiver mais où l'humanité finit par s'imposer. Un joli moment de lecture, sans doute pas parfait mais avec une belle marge de progression, rempli d'une douceur bienvenue par les temps qui courent.



Yuki est la fille d'un Daimyo, un seigneur puissant, qui a fait allégeance au shogun, alors que l'époque était troublée et les riches aristocrates se rebellaient contre le pouvoir impérial. Yuki n'est encore une enfant, mais elle s'inquiète, car son frère est malade. Très gravement malade. Les guérisseurs locaux sont impuissants à le soigner.

S'il venait à mourir, la famille de Yuki se retrouverait sans héritier. Une situation qui ne pourrait évidemment pas rester sans conséquence : soit la déchéance du Daimyo et la chute sociale de la famille, soit la répudiation de la mère de Yuki et la promesse d'un avenir précaire pour elle et la jeune fille.

Mais, c'est d'abord la santé de son frère qui inquiète Yuki, au point que, sans prévenir personne, elle décide de s'enfuir. Intrépide et téméraire, elle a une idée en tête : se rendre auprès de celui qu'on considère comme un des plus grands guérisseurs de ce temps. Peut-être le seul homme capable de soigner son frère. Mais cet homme vit loin du domaine familial.

Il vit en ermite, sur les flancs d'une montagne peu accueillante, surtout en plein hiver, comme c'est le cas au moment où Yuki prend la route. Mais, peu importe, l'enfant n'a qu'une idée en tête : obtenir de ce guérisseur le remède qui pourra sauver son frère. Reste à savoir si elle parviendra à mener son voyage jusqu'au bout. Et surtout avant que son frère ne connaisse un sort funeste.

Akira est un fantôme. Non, ne levez pas le sourcil, vous avez bien lu, Akira est un fantôme. Voilà un demi-siècle au bas mot qu'il hante une grande demeure, sans espoir de la quitter un jour. C'est d'ailleurs cette espèce de réclusion qui lui pèse le plus, ainsi que l'ennui qu'il ressent, jour après jour, après jour...

Seul, dans la maison, un enfant peu le voir. Il s'appelle Shota et il est malade. Gravement malade, au point que sa vie est en danger. Le fantôme et l'enfant échangent, lorsque ce dernier connaît des périodes de lucidité, de plus en plus rares, entre deux périodes de forte fièvre. Pour l'un comme pour l'autre, cette relation est devenue la seule qui donne encore un sens à leur existence.

Car le père de l'enfant est constamment absent et sa mère, démolie et effrayée par l'état de santé de son fils, n'ose même plus venir le voir, laissant aux servantes le soin de s'occuper de lui... Malade, conscient qu'il pourrait prochainement mourir, même si cela reste sans doute une notion très abstraite dans son jeune esprit, Shota puise un maigre espoir d'avenir dans la présence de son étrange ami.

Qu'adviendra-t-il, si Shota meurt ? Akira perdra-t-il son seul ami, en attendant qu'un autre être vivant vienne dans cette maison et soit capable de le voir ? Mais, la question se pose aussi en cas de guérison : si Shota survit, il grandira, partira et Akira, coincé dans cette demeure, le perdra de la même façon...

Sayuri est une courtisane, une jeune femme qui a vu dans cette carrière un moyen d'échapper à la pauvreté. Pourtant, elle ne travaille pas dans une de ces grandes maisons, présentes dans les grands centres urbains, où l'on rencontre ces geishas magnifiques vivant dans le luxe et l'opulence. Sayuri doit se contenter d'accueillir les clients d'une modeste auberge, tenu par un couple de paysans peu sympathiques.

Sayuri a du mal à se faire à la concurrence qui règne entre les courtisanes travaillant dans cette auberge. Elle n'est pas aussi ambitieuse et caractérielle que ses consoeurs. Elle a un bon coeur et espère que cette situation ne sera qu'une étape vers un avenir meilleur. Mais, l'événement qui va changer sa vie, elle ne l'imaginait pas ainsi...

Il va en effet prendre la forme d'un enfant. Un bébé, même, abandonné dans une des chambres de l'auberge par un client de passage. Cet enfant, la veille, Sayuri l'avait à peine remarqué, pensant qu'il s'agissait du baluchon du voyageur. Mais, lorsqu'elle a réalisé sa méprise, elle a porté une plus grande attention à ce client.

Ce client a-t-il perçu cet intérêt au point de lui confier l'enfant avant de disparaître en pleine nuit ? Sayuri l'ignore, mais elle décide de prendre l'enfant sous son aile. Elle a même une idée précise de ce qu'elle pourrait faire de lui. Elle en est sûr, agir en ce sens serait une bien meilleure solution pour l'enfant que de le laisser aux mains de ses employeurs, dont elle doute de l'affection...

Takeshi est un jeune garçon qui n'a pas froid aux yeux. Aussi, a-t-il décidé de pénétrer dans la grande maison abandonnée qui se dresse et menace ruines près de là où il vit. La rumeur dit que les lieux sont hantés, mais Takeshi a besoin de le voir pour le croire. Sinon, il saura que tout cela n'est que superstition et peur irrationnelle.

Mais, fantôme ou pas fantôme, une vieille demeure presque croulante est un endroit pleine de danger. De quoi exciter l'imagination d'un gamin en quête d'aventures et de sensations fortes. La visite de l'endroit ne va pas décevoir le garçon, comme si ce château conservait la puissante trace des événements qui s'y sont déroulés par le passé. De quoi changer en profondeur l'existence de Takeshi...

Enfin, il y a Seimei. Un garçon qui se retrouve avec une lourde charge sur les épaules : celle qui doit le voir succéder à son père. Lui est persuadé de ne pas avoir la vocation, non, celui qui était le plus doué, le plus apte à prendre le relais, c'était son frère aîné, décédé prématurément. Alors, il fuit. Oh, je sais, le mot est fort.

Disons que, pour Seimei, ce départ dans la plus grande discrétion, c'est un moyen d'échapper à une pression sociale qu'il n'est pas certain de pouvoir assumer. Mais, dans les faits, cela ressemble vraiment à une fuite, celle qui pourrait lui permettre de reprendre ailleurs, une autre vie, sans devoir se plier à l'ordre des choses...

Pourtant, Seimei, le lecteur le sait, n'est certainement pas un incapable. Bien au contraire. Ce qui lui manque, c'est juste la confiance en lui, celle qui lui permettra de comprendre que cette mission qui lui échoit est de première importance. Mieux, de première grandeur. Un coup de pouce du destin l'aidera à le comprendre...

Voilà rapidement esquissé le portrait des cinq personnages principaux du roman de Claire Krust. Cinq destins qui vont s'entremêler, évidemment. Attention, ne croyez pas avoir repéré aussi aisément qu'il n'y paraît de lien entre les uns et les autres. Car la narration du roman n'est ni linéaire, ni chronologique.

Mais, le point commun entre ces cinq personnages, c'est avant tout qu'ils cherchent leur voie. Ils arrivent tous, y compris le fantôme, même si l'idée peut surprendre, à un moment-clé de leur existence. Le moment où l'on doit faire des choix, agir, prendre une décision, sans certitude aucune, parfois en se mettant en danger.

Le mot danger est à prendre de différentes façons, il y a le danger mortel, mais aussi le danger de tout perdre, ce qui peut revenir au même mais pas forcément. Le danger, parfois, paralyse, mais, si on l'affronte, alors, on peut parfaitement trouver l'épanouissement, l'accomplissement. Et, pour ces cinq-là, cette démarche passera par l'altruisme. Pas là où ils l'attendront, mais ce sera encore plus grand.

Ne voyez pas de mièvrerie ou d'aspect moralisateur dans ce que je viens d'écrire. La manière dont Claire Krust amène tout cela, comme une espèce de conte en plusieurs dimensions, évite parfaitement cet écueil et l'on sort de cette lecture comme rasséréné, apaisé. Zen, puisqu'on est bien entendu baigné dans cette atmosphère japonisante.

Il ne s'agit pas à proprement parler de fantasy historique, car ce Japon féodal qui nous est présenté, et qui figure sans doute une période datant de quatre ou cinq siècles, n'est en fait qu'une inspiration littéraire, un décor pour le récit. Nourrie de cette culture, Claire Krust a choisi de nous emmener dans une copie onirique de ce pays.

Onirique, car il flotte, tout au long de ce roman, une ambiance très particulière, propice au mystère et au fantastique, qui correspond parfaitement au côté conte de l'histoire. Mais, ce n'est pas un rêve tout rose, au contraire. Tout est sombre, presque nocturne. Les lieux, les maisons ont quelque chose de sinistre et le passage du temps n'arrange rien.

Tout comme l'hiver, omniprésent, qui semble ne jamais finir, dans ce Japon fantasmé, pour reprendre le mot utilisé en quatrième de couverture. Cette saison, qui fait peser une chape sur ce monde, par la neige, par les journées courtes, par le froid, vient donner un petit côté angoissant. Comme une menace indéfinissable placée en embuscade...

Le paradoxe, c'est que, malgré cette impression sombre, c'est le blanc qui domine partout, comme s'il absorbait les couleurs. La neige, je viens d'en parler, qui est tout le temps là, tombe, épaissit, entrave. Mais aussi la peau de plusieurs des personnages, entre ivoire et porcelaine. Un blanc qui n'est pas éclatant, mais figé, presque morbide, comme la peau des malades...

Cette impression monochrome se glisse jusque dans la blancheur palote des intérieurs, suis-je obsédé, on se croirait parfois dans des chambres d'hôpital, et dans les vêtements, puisqu'on nous dit que les couleurs vives ont été rangées en attendant des jours meilleurs. C'est alors une blancheur terne, comme celle de la neige en train de fondre...

Je me suis laissé happer par cet univers si particulier, que rend très bien l'écriture précise de Claire Krust. Et la construction très surprenante de cette histoire m'a tenu en haleine jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'en tournant la dernière page, enfin, en faisant glisser une dernière fois le doigt sur l'écran de la liseuse, j'assemble la dernière pièce du puzzle.

Voilà une jolie découverte à faire et une nouvelle plume à découvrir. Il y a sans doute des imperfections, Claire Krust qui, si j'en crois son interview en fin de recueil, écrit énormément, devrait gagner en maturité et en expérience à l'avenir, mais je ne vais pas non plus bouder mon plaisir. J'ai passé avec "les neiges de l'Eternel" une très bonne après-midi de lecture. Et c'est le principal.

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