samedi 30 avril 2016

"Parfois, j'oublie qui vous êtes réellement ! J'oublie ce qu'on dit de vous, je me mets à penser que vous avez un bon fond ! Et tout à coup (...) je réalise que toutes les légendes sont vraies".

Je dois dire que, si j'ai choisi cette citation en guise de titre, c'est parce que, tout au long de cette lecture, je me suis retrouvé dans le même état d'esprit que le personnage qui parle. Oui, on a, au coeur de notre livre de ce soir, un personnage détestable, horrible, monstrueux, auquel, par la force des choses, on s'attache... En jouant avec ce fou furieux comme un habile marionnettiste, Olivier Gay tisse le premier tome d'un diptyque de fantasy tout à fait divertissant. "Les épées de glace" a été récemment réédité par les éditions Bragelonne, les deux tomes rassemblés en un seul volume pour l'édition papier, en deux tomes, comme à l'origine, en version numérique. Sur ce blog, on va faire la césure, en vous proposant un billet sur la première partie, nouvellement intitulée "Le sang sur la lame". A recommander aux amateurs de romans de cape et d'épée, avec tous les codes du genre joliment revisités.



Mahlin est un garde anonyme du palais impérial de Musheim, la plus grande ville du monde, capitale d'un Empire qui s'étend à l'ensemble du monde connu, à part quelques territoires négligeables. Pourtant, il rêve d'action, de combat, de prouver sur le terrain l'habileté à l'épée qu'il déploie dans les tournois, mais son boulot, c'est de garder une porte latérale...

Et puis, un soir pluvieux, voilà que débarque à sa porte une espèce de furie. Elle veut absolument entrer dans le palais, sans passer par la porte principale. Elle a beau se présenter, dire s'appeler Deria et être fille d'un baron, expliquer qu'on attend son arrivée, Mahlin, inflexible, lui refuse le passage, manquant de provoquer un incident...

S'il a rempli sa mission, il a pourtant bel et bien repoussé la fille d'un baron, oups... Mais, son attitude a bien plu à la jeune femme, au caractère bien trempé, au langage bien peu châtié et au comportement bien iconoclaste pour la cour impériale, où l'étiquette est de rigueur. Deria, l'étiquette, elle se la met... euh, pardon, elle n'en a cure, et son arrivée va bousculer la cour.

Autre preuve de cette indépendance, plutôt que de fréquenter la noblesse, Deria préfère la compagnie de Mahlin, avec qui elle s'exerce à l'épée, mais aussi de Shani, une jeune servante un peu transparente, elle aussi. Malgré la différence de statut social, une sorte d'amitié se noue entre ces trois jeunes personnages, déjà adultes, mais encore bien proches de l'adolescence.

Un mois de folie passe sur le palais, jusqu'à ce sinistre matin... Deria, qui a pris l'habitude de faire le mur pour aller passer ses nuits hors du palais n'est pas rentrée. Et sa description correspond à un corps retrouver dans un des quartiers les plus mal famés de la capitale. Selon les premières investigations, elle a été assassinée après avoir été violée...

Chape de plomb sur le palais impérial... Mahlin et Shani sont sous le choc, découvrant l'ampleur de ce que leur a caché leur nouvelle amie et se lamentant de son triste sort. Mais, au sommet de l'empire aussi, on a pris un sacré coup de bambou : comment expliquera-t-on au père de la jeune fille ce qui lui est arrivé, alors qu'on était censé la surveiller, la protéger ?

Devant cet échec, mais aussi connaissant la réputation dudit père, il est décidé en haut lieu de taire ce qui est arrivé à Deria et d'expliquer qu'elle a quitté la capitale de son propre chef, pour aller on ne sait où... Mahlin, qui sait ce qui s'est passé, se voit offrir une promotion en échange de son silence. Shani, elle, craint qu'on la fasse taire à son tour... Bref, l'ambiance est tendue...

Face à ce choix cornélien, la conscience de Mahlin est mise à mal. Sous le charme de Deria, il peine à accepter ce secret qu'on lui impose... Alors, il décide de refuser sa promotion et de se rendre auprès du père de la jeune femme pour l'informer, et tant pis pour les conséquences. Et Shani, qui s'éloignerait volontiers du palais, le persuade de l'accompagner.

Ne reste plus qu'à trouver cette mystérieuse baronnie de Froideval, dont le nom ne semble rien dire à personne, pas plus que le blason... Qui donc est le père de Deria, ce noble qui vit à Pétaouchnok et est inconnu au bataillon de cette cour pourtant si bien informée ? Même pour trouver le chemin, c'est compliqué, mais ça y est, c'est loin, très loin vers le Nord, dans des terres hostiles et dangereuses que vit le baron...

Ce qu'ils ignorent, c'est que celui qui se cache depuis près de 20 ans sous ce titre de Baron Froideval est tout sauf un inconnu : sa légende est encore vive à Musheim, de nombreux contes et comptines courent à son sujet, on se sert de son image pour effrayer les enfants et leur faire avaler leur soupe... Car le Baron s'appelle en fait Rekk et son surnom en dit plus encore : le Boucher !

Dans leur intention louable de ne pas laisser dans l'ignorance du sort de sa fille, Mahlin et Shani, gentils naïfs qui ne connaissent rien à rien, ont ouvert une boîte de Pandore. Le Boucher, que tant de gens croyaient morts, abandonne son exil volontaire, pour regagner Musheim et y retrouver l'assassin de sa fille unique...

Et, comme il n'a pas changé sous les latitudes septentrionales et glaciales, c'est en laissant derrière lui un sillage ensanglanté qu'il se lance dans cette quête de vengeance, flanqués du garde et de la servante, un peu déboussolés par ce qui leur arrive, mais fascinés par le personnage de Rekk le Boucher, sa démesure, mais aussi sa douleur et sa dignité...

Un mot de l'univers de ce diptyque. L'empire dont Marcus Ier est le monarque, ressemble fort à un empire romain qui aurait conquis tous les territoires voisins, étendant son influence aux confins du monde et vivant dans une paix tranquille depuis des décennies. Mais, on n'y vit pas tout à fait à la manière romaine : le mode de vie fait plutôt penser à la France du XVIIe siècle.

Ne croyez pas que cette ère de paix et de prospérité, marquée par de nouvelles constructions imposantes chargées d'asseoir le règne de Marcus, ravisse tout le monde. Non, le meurtre de Deria se déroule alors que la grogne monte dans la capitale, que des manigances politiques sont à l'oeuvre et que certaines ambitions ne se cachent plus vraiment...

Il y a comme un vent de Fronde sur Musheim, au point que l'Empereur ne peut sortir de son palais sans escorte ou sans porter sous son habit une épaisse protection. Plusieurs fois, on a essayé d'attenter à sa vie et cela l'agace au plus haut point, on peut le comprendre. Bref, le retour de Rekk le Boucher ne fait qu'ajouter à une situation délicate un problème supplémentaire...

Rekk le Boucher, c'est une espèce de Lagardère, dans une version nettement plus sanguinaire que le personnages du baron de Sigognac ou de Lagardère, immortalisés par Théophile Gautier et Paul Féval. Aucun état d'âme, cet ancien gladiateur est devenu le bras armé de l'empire, la face sombre de celui-ci, acceptant de faire le sale boulot et d'endosser l'horreur de cet autoritarisme pour permettre à l'Empereur, le père de Marcus, de briller de mille feux.

Rekk, c'est un personnage génial. En toute autre circonstance, on ne se poserait aucune question à son sujet : il serait le méchant parfait de tout récit. L'incarnation idéale du croquemitaine qui ne connait nulle pitié, pas même envers les enfants, les femmes et les vieillards. Le surnom de Boucher lui va non seulement comme un gant, mais il l'assume sans aucun remords.

Et, après son éclipse de près de 20 ans, il voit là l'occasion de rajouter quelques lignes à la légende attachée à son nom et à ses, euh... exploits, si on peut dire cela. Proche de la cinquantaine, il conserve toutes ses qualités de combattants, et son âme noire n'est jamais rassasiée, quelques pintes de sang supplémentaires sont les bienvenues.

A ses côtés, forcément, Mahlin et Shani font bien pâles figures. Deux gentils candides, pour ne pas dire deux nigauds. Pourtant, après un temps de répulsion et de crainte, ils vont se faire à ce personnage qu'il ne faut pas chatouiller de trop près si on ne veut pas finir avec quelques centimètres d'acier dans le buffet...

Au contraire, ils vont en faire leur mentor, tout en conservant une position en retrait, dû à leurs origines fort modestes. Mais le garde et la servante vont apprendre énormément à son contact et ce ne sont plus tout à fait les mêmes personnages qui reviennent avec lui à Musheim. Heureusement, car ils vont découvrir la capitale sous un jour nouveau, et particulièrement dangereux...

Olivier Gay s'amuse avec les codes du roman (et du film) de cape et d'épée, assaisonnant son intrigue d'un humour de bon aloi, qui donne le sourire au lecteur, même dans les situations les plus critiques. Et donc, les plus sanglantes. L'action est là, entre "les Trois Mousquetaires" et "le Bossu", et l'on verrait bien le jumeau maléfique de Jean Marais incarner Rekk.

Il y a les situations, souvent pleines d'ironies, les dialogues, bien sentis, efficaces, mais aussi une galerie de personnages qui a fait de moi un lecteur heureux, avec aux lèvres ce sourire un peu niais qu'on acquiert au fil des pages devant les faits d'armes des uns et les actions d'éclat des autres. J'y ai retrouvé tous ces archétypes qui ont marqué mon enfance, les mardis soirs devant "la Dernière séance".

Car, si Rekk est un peu atypique, Mahlin et Shani remplissent parfaitement le rôle des gentils bien braves (même si, reconnaissons-le, ils prennent de l'assurance et de l'épaisseur au fil de ce premier tome), on trouve également l'empereur coupé des réalités, persuadés d'être un grand monarque alors que son règne est juste médiocre, l'ambitieux duc Mandonius, qu'on verrait bien, par-dessus ses tenues chics et recherchées, endosser le costume du fourbe de service...

Il y a Gundron, le Borgne, l'âme damnée, un Rochefort plus vrai que nature, toujours dans l'ombre, mais près à tous les coups fourrés, dans une discrétion que ne connaît pas Rekk, par exemple. N'oublions pas Semos, le chef de la garde, un ambitieux qui rêve d'un anoblissement qui ne vient pas. Un personnage bien falot à côté de son illustre homologue, Monsieur de Tréville..

Et puis, mention spéciale à Théorocle, alias l'Héritier, fils unique de l'Empereur, adolescent boutonneux (il n'y a qu'Olivier Gay pour parler acné dans un roman de fantasy, non ?) et passablement insupportable : prétentieux, fat, lâche, fourbe, raciste, stupide... Il a tout pour plaire, ce garçon, mais le costard que lui taille l'auteur en fait un personnage qui m'a fait mourir de rire.

Un premier tome plein de fantaisie, plein d'humour où l'on retrouve la patte de l'auteur de la série de polar construite autour du personnage de Fitz, déjà évoquée sur ce blog. Loin des héros sans peur, sans reproche, sans faille, incarnant toutes les valeurs positives dont on puisse rêver, beaux, forts, dégageant une puissante aura sexuelle, portant haut l'étendard du bien, on a des personnages décalés et imprévisibles.

L'intrigue, qui est presque secondaire par rapport aux personnages qu'elle implique, sert d'abord à créer les rapports de force et à mettre tout ce petit monde en situation pour que la paisible Musheim se transforme en poudrière prête à exploser à la moindre étincelle. Une étincelle qui ne devrait pas tarder à s'allumer, dès le début du deuxième tome, j'imagine.

Vous noterez que dans tout ce que je viens de raconter, il manque quelques aspects qui font que la fantasy est la fantasy. Or, il faut reconnaître que les éléments fantastiques, la magie, les créatures, sont absents de ce roman. Il y a, à la rigueur, et encore, je n'en suis pas tout à fait sûr, un personnage secondaire capable de déjouer des situations pouvant laisser penser à l'intervention du fantastique, mais c'est tout.

Oh, ne grognez pas, ça peut aussi être très bien ! Car "Le sang sur la lame" est avant tout un très bon divertissement et nourrit essentiellement cette ambition. La scène finale de ce premier volet est un point d'orgue, plongeant tout le monde dans une folie comme seul Rekk peut en susciter. Il y a du Tarantino dans ce final, je trouve, mais aussi une conclusion qui donne envie de lire, et vite, la suite.

Alors, oui, Rekk est un personnage ignoble, sans pitié, impardonnable et ne souhaitant sans doute pas être pardonné, un psychopathe qui prend son pied à tuer son prochain... Mais voilà, il est fabuleusement charismatique, quand se dressent autour de lui des personnages falots, faux, stupides ou fourbes.

Rekk a ce panache qui manque à tout ceux qui veulent le voir tomber, pour diverses raisons. C'est un héros, un vrai, même si c'est un héros maléfique et dangereux. Ne comptez pas sur lui pour une rédemption, en tout cas, pas sous la forme classique, mais c'est un personnage entier qui, paradoxalement, et comparativement aux autres, n'est pas dénué d'honneur (ok, je pousse peut-être un peu, là...).

Reendez-vous prochainement pour évoquer la suite et voir également ce que vont devenir Mahlin et Shani, dont l'évolution ne fait que commencer et dont le rôle devrait sensiblement s'étoffer... A eux, dans ce maelström, d'endosser le costume du héros, les vrais, les purs, qui manquent à tout cela. A moins que l'influence de Rekk ne les oriente dans une toute autre direction...

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