dimanche 10 juillet 2016

"Il n'y a pas tant d'édens dans la Galaxie et nous en avons assez détruit. Il serait tant d'en laisser un intact".

Il est beaucoup question d'Afrique sur le blog, ces derniers jours. Pour être franc, cela tient autant du hasard que d'un choix de lecteur. Disons que les opportunités se sont présentées et que je trouvais intéressant de les rassembler. Mais, pour le billet de ce jour, petite différence notable, puisqu'il s'agira d'un roman de science-fiction. Ne vous y trompez pas, les planètes que nous allons visiter sont bien sorties de l'imagination de l'auteur, mais son inspiration, c'est dans l'histoire de l'Afrique qu'il l'a puisée. "L'infernale comédie", de Mike Resnick (récemment réédité aux éditions ActuSF), est une trilogie rassemblée en un seul volume qui retrace la colonisation par les Humains et l'accès à l'indépendance de trois planètes, le tout, dans des conditions qui vont crescendo dans l'horreur. Une dénonciation de l'impérialisme occidental à travers des exemples concrets, mais aussi une réflexion un peu plus fine autour d'une question forte : comment expliquer que le retour à l'indépendance ait toujours débouché sur de terribles dictatures ?



Petite présentation, avant tout. "L'infernale comédie", on l'a compris vite, c'est un clin d'oeil à Dante, et d'ailleurs, les trois romans qui composent ce livre sont intitulés, dans l'ordre de lecture, "Paradis", "Purgatoire", "Enfer". Chacun se consacre à une planète différente, revenant sur sa colonisation, la cohabitation entre les hommes et les extraterrestres autochtones, puis les velléités d'indépendance.

Mais, on ne s'arrête pas à cette reprise en main des destinées des planètes par des leaders providentiels et/ou auto-proclamés. Les Hommes, en particulier ceux qui se sont comportés en pionnier, en découvreurs, sont les témoins, souvent impuissants, des débuts difficiles, violents, sanglants de ces nouvelles ères.

Le lecteur a deux options : simplement lire cette trilogie comme un pur roman de SF, sans se poser plus de questions que cela, solution, me semble-t-il, que préconisait récemment Mike Resnick, lors des dernières Imaginales ; ou alors, faire chauffer un moteur de recherche et vous plonger dans l'histoire des pays concernés.

Cette seconde idée, pourtant, n'est pas totalement à écarter. Pour une raison que je vous donne tout de suite : il y a, et ça vaut particulièrement pour les peuples extraterrestres mais aussi du côté humain, des personnages très forts qui se dégagent dans ces trois récits. Des personnages qui ont évidemment des équivalents historiques qu'il peut être intéressants de découvrir, si on ne les connaît pas.

Le Paradis, c'est Peponi. Une planète aux paysages fabuleux, regorgeant d'espèces animales qui attirent les amateurs de safaris, une sorte de jardin d'Eden, comme le dit d'ailleurs le titre de ce billet (pourtant extrait d'un des deux autres livres de la trilogie), que les Humains ont conquis comme ils ont conquis bien d'autres planètes dans la Galaxie auparavant.

Cette colonisation se fait sous la houlette d'un dénommé Hardwycke, que va retrouver, bien des années plus tard, un jeune journaliste, Matthew Breen, tombé amoureux, lui aussi, de cette planète, pour lui faire raconter son expérience et publier sa biographie. Un rêve, en tout cas au début, jusqu'à ce que tout s'emballe et que la présence humaine ne finisse par nuire à la planète.

Trop de monde, trop de volonté de modernité, trop d'animaux tués pour le bon plaisir des chasseurs, sans se soucier des territoires, des cheptels, de l'écosystème... Et sans se soucier des populations locales, rapidement considérées comme primitives et inférieures, parce que le niveau de technologie est en effet incomparable. Mais la technologie fait-elle seule une civilisation ?

Peu à peu, ceux à qui les hommes ont donné le nom d'Ouïes-bleues vont commencer à trouver que l'emprise humaine est exagérée et vont afficher une volonté de reprendre en main le destin de la planète. Cela passera par une révolte, celle des Kalakalas, puis par l'ascension d'un homme, d'un chef, Buko Pepon, qui porte le nom de la planète.

Sous le regard de Matthew Breen, témoin des événements, nous suivons alors les démarches menant à l'indépendance de la planète et à ses premiers pas en tant qu'entité libre. Mais, est-ce l'influence humaine, voilà que de nouveaux problèmes, que les habitants originels de Peponi ne s'étaient jamais posés, vont apparaître et pousser Buko Pepon et ses successeurs à mettre en place des dictatures pour avancer...

Peponi, c'est le Kenya et Buko Pepon, c'est Jomo Kenyatta. Cette planète, c'est le paradis, en tout cas à l'arrivée des Humains. Ensuite... Le goût du lucre, du pouvoir, aussi, la volonté de dominer les éléments, et en particulier la nature, tout cela va plonger Peponi dans une vilaine spirale, jusqu'à mettre en danger son équilibre.

Pourtant, des trois livres, c'est bien le plus calme. Oh, il y a des violences, il y a des échanges musclés pour faire reculer l'Humain, il y a des tractations et des coups bas, il y a une dictature, mais pas la pire de toutes, loin de là. Pourtant, déjà, le sentiment douloureux que l'humanisation de cette planète est la cause première de ces dérives...

Le purgatoire, c'est Karimon. D'abord exploré par des aventuriers humains en quête de nouveaux territoires, puis ayant connu l'arrivée de missionnaires venus porter leur bonne parole, elle finit par être colonisée par l'Humain, malgré les réticences d'un personnage fort : Jalanopi, roi des Tulabétés, qui va donner bien du fil à retordre aux humains et à la retorse Violette Jardinier, avant de céder.

A la différence de Peponi, la colonisation de Karimon a été bien plus longue et difficile, face à un interlocuteur très rusé et ne lâchant rien. Autre différence notable : la planète est une mosaïque de tribus qui n'ont pas forcément les mêmes intérêts et ne s'entendent pas forcément très bien. Les décisions de Jalaponi n'engagent que les Tulabétés, au final...

Et puis, si Karimon possède également une riche faune, son sol intéresse les humains non pas pour sa fertilité, comme sur Peponi, mais parce qu'il regorge de minerais... L'enjeu économique est énorme, avec des retombées fabuleuses... A condition de parvenir à faire céder ces peuples autochtones à la fierté et au caractère entiers.

"Purgatoire" est, dans un premier temps, le récit de cette conquête bien difficile, au cours de laquelle l'humain n'hésitera pas à monter les différentes tribus les unes contre les autres, mais où il faudra aussi se méfier de la colère des Tulabétés, qui ne céderont rien. Un processus que l'on suit dans son ensemble, qui aboutira, avant de connaître de nouveaux soubresauts.

La suite, c'est l'émergence de nouvelles figures issues des populations de Karimon, rebaptisée Rocaille par les Humains victorieux. Et ces personnalités-là vont opter pour un choix draconien : non seulement il faut obtenir son indépendance mais Karimon ne doit revenir qu'à ses habitants premiers et l'Humain n'y sera plus forcément le bienvenue.

Karimon, c'est le Zimbabwe, avec une histoire bien plus complexe, difficile, violente, aussi, que le Kenya. Une histoire dans laquelle colonisation et indépendance donnent lieu à deux périodes bien distinctes. Des intérêts économiques forts s'ajoutent aux intérêts politiques et la dictature qui va suivre s'annonce bien plus dure que celle vue sur Peponi.

Et l'on voit aussi apparaître ces questions ethniques, déjà présentes sur Peponi, mais sans véritable conséquence. Sur Karimon, déjà, on observe un raidissement sur ces sujets mais aussi la volonté du nouveau pouvoir de tout contrôler, et pas forcément pour le bien commun... Ce livre médian est une étape particulière, une sorte de bascule qui n'est peut-être pas irréversible.

Les autres sensations forte, sont, d'une part, cette désagréable impression que les Karimoniens ont retenu de la présence humaine, ce qu'il y a de pire, déjà observé, mais de façon moins marquée, sur Peponi ; et, de l'autre, un rejet des racines, de la culture d'origine. Comme si le courageux et roublard Jalaponi avait été effacé par ses propres descendants...

Et le sentiment atroce d'un épouvantable gâchis...

Et puis, il y a l'enfer... L'enfer, c'est Faligor. Encore un pays riche pour sa faune, ses terres agricoles mais aussi ses ressources minières. Faligor, c'est le Diamant de la Frontière Externe, comme on a surnommé la planète du côté humain. C'est vous dire si cette planète a fasciné ses premiers visiteurs humains par sa beauté, sa richesse et par l'impression remarquable laissée par les autochtones.

Dans un premier temps, la colonisation se passe sans accroc et avec la volonté affichée par les Humains de ne pas commettre les mêmes erreurs que sur d'autres planètes comme Peponi et Karimon. On prend des précautions importantes pour faire avancer tout le monde dans le même sens et ne pas tout faire tomber dans le chaos.

Mais, malgré toutes ces attentions, la situation va basculer soudainement. D'une certaine manière, c'est un match de boxe qui va tout changer. Entre ambitions, enrichissements prohibés, échecs des tentatives démocratiques, luttes de pouvoir et rivalités ethniques et tribales, les Humains vont brusquement perdre la main et laisser Faligor s'enfoncer dans l'horreur.

S'il n'est pas le premier à avoir lancé les hostilités, l'une des figures marquantes de ce roman s'appelle Gama Labu, un fou, disent les uns, un être plus retors qu'il n'y paraît, disent les autres. Mais, quoi qu'il en soit, un être prêt à tout, sur lequel courent les plus effroyables rumeurs, dont le cannibalisme, mais qui va faire couler le sang à flots dans son pays...

Faligor, c'est l'Ouganda, et Gama Labu, c'est Idi Amin Dada, dont le simple nom évoque les atrocités commises dans le pays. Pourtant, et il faut remercier Mike Resnick de ce rappel, l'Ouganda de l'après-Amin connaîtra deux autres règnes plus sanglants encore avant de voir émerger un semblant de démocratie.

Faligor, c'est l'enfer, car la spirale dans laquelle la planète tombe ne va aller qu'en empirant. Du sang, des massacres, des génocides, des enfants enrôlés comme soldats et transformés en machines à tuer, des tribus éradiquées, d'autres largement réduites, une planète à la dérive, en ruines, tant sur le plan institutionnel qu'économique... Le tout, sous le regard effaré d'Humains qui ne reconnaissent plus ce Diamant qui les a attiré irrésistiblement.

Il y a dans "Enfer", un personnage humain qui s'appelle Arthur Cartright. Pour être franc, je ne sais pas s'il a un équivalent historique ou s'il s'agit d'un personnage imaginaire. Il est plus simple de retrouver les équivalences pour les personnages africains que pour les personnages européens. Mais, Cartright tient un rôle important, celui de témoin privilégié.

Il est celui qui a voulu gérer au mieux la colonisation de Faligor, justement pour éviter les erreurs précédentes. Ce qui va se dérouler sur la planète va le désoler, le désespérer et entraîner chez lui à la fois une énorme culpabilité et une incompréhension totale. A-t-il engendré ces monstres, malgré ses efforts ? Est-il le responsable de cette horreur ?

Ou bien y a-t-il d'autres explications à tout cela ? C'est vraiment l'une des grandes interrogations de la trilogie et je dois dire qu'il est bien difficile d'apporter des réponses concrètes. Pourquoi les populations des différentes planètes ont-elles ainsi perdu toute mesure, toute raison, ont-elle, en retrouvant l'indépendance, coupé tout lien avec ce qui se passait avant pour plonger leurs planètes dans le totalitarisme et jusqu'à la folie.

On se souvient d'un débat qui a agité la France il y a quelques années, autour de l'expression "effets positifs du colonialisme", si je ne me trompe pas dans la formulation. "L'infernale comédie", avec ses trois cercles, est la plus formidable réponse à ce débat, en mettant en évidence cet axiome : là où passe la colonisation, émerge le chaos lorsqu'elle se retire.

Peut-être, d'ailleurs, est-il tout aussi bien qu'on ne puisse pas dégager les causes réelles et exactes de cette situation, puisque, ainsi, on devrait en tirer les leçons et renoncer à l'impérialisme qui ne donne rien de bon pour personne... Suis-je naïf ! L'être humain, le nôtre, pas celui présent dans ces romans de SF, n'a cure de tout cela.

Il persiste et signe. Et, comme tout le monde le sait, si l'erreur est humain, persévérer est diabolique. La boucle est bouclée, on revient en enfer. Mike Resnick nous emmène dans l'Afrique des années 1950, avec la révolte des Mau-Maus, jusqu'à la chute des tyrans sanguinaires Ougandais, mais sans pouvoir retrouver une véritable démocratie.

Trois livres en un, je suis donc long, j'en suis désolé, mais c'est vrai que "L'infernale comédie" est un livre très particulier, entre roman historique et science-fiction, jouant sur les deux échelons, respectant les faits tout en les revisitant à sa façon à travers le destin de ces planètes. Qu'on le veuille ou non, on en apprend beaucoup sur l'histoire de ces trois pays, encore aujourd'hui bien peu libres.

Les choix narratifs sont également très importants, dans chacun des trois livres. C'est bien le point de vue d'Occidentaux qui nous est présenté à chaque fois. Comme pour mieux nous prendre à témoin. On y trouve aussi bien des personnages qui, quoi qu'on pense de la colonisation, agisse avec un certain idéal, et d'autres, bien moins recommandables ou moins attachés au sort de leur prochain.

On y voit aussi apparaître des préoccupations plus contemporaines, comme les questions environnementales et la préservation de la faune, en particulier. La folie humaine s'exerce aussi là, quand la soif de profit fait perdre de vue les intérêts communs. Sur les trois planètes, dans les trois pays, on verra là aussi des politiques très différentes en la matière.

Parce que ces trois planètes, ces trois pays, ont tout pour être des paradis terrestres. Ils ont tout pour que chacun y vive heureux et sans doute prospère. A condition qu'on retrouve de la sagesse et le respect de l'autre... Pas facile à imaginer, tout cela... Alors, un conseil, peut-être : relire, après la fin du livre, l'avant-dernier chapitre du premier tome... Et rêver.

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