mardi 12 juillet 2016

"J'ai l'impression parfois qu'il n'y a que les livres qui rendent la vie supportable".

J'aurais pu prolonger un peu la citation, mais je pense qu'on va en rester là, car ainsi, on a un titre qui en dit long sur notre roman du jour. Un livre dont j'entends parler depuis pas mal de temps, sans vraiment m'y être intéressé. Le livre vient de sortit en poche, une bonne occasion de se pencher dessus avec plus d'attention et de découvrir également son auteure. Et de découvrir un univers sombre, mystérieux mais assez envoûtant, placé sous le signe de la SFFF (Science-Fiction, Fantasy, Fantastique, pour les non-initiés), véritable ode à la lecture et à l'imaginaire. "Morwenna", de Jo Walton, est donc désormais disponible chez Folio, et l'été est un moment parfait pour découvrir cette adolescente particulière et son monde, pas vraiment un pays des merveilles... Un beau roman sur le mal-être adolescent, vu sous un angle tout à fait intéressant...



Morwenna a 15 ans, alors que se profile l'année 1980. 15 ans et une vie difficile. Originaire du Pays de Galles, de ces vallées du sud de la région où personne ne roule sur l'or. L'année précédente, un terrible drame a bouleversé sa vie : sa soeur jumelle est décédée, Morwenna elle-même conserve des séquelles à une de ses jambes, l'obligeant à utiliser une canne.

Ce qui s'est vraiment passé ? On ne le saura jamais véritablement. Un accident de la route, oui, mais dans des conditions qui demeurent floues. Car on ne possède que le point de vue de l'adolescente. Mais, ce que l'on comprend bien, c'est que, pour Morwenna, il ne fait aucun doute que la responsable du drame, c'est sa mère...

Voilà aussi pourquoi Morwenna a quitté le Pays de Galles pour l'Angleterre, pourquoi elle a quitté sa famille pour rejoindre un père et des tantes (trois soeurs qu'elle peine à identifier) qu'elle connaît à peine. Pas vraiment le temps de faire connaissance, elle doit en effet, en cette rentrée automnale, faire ses premiers pas dans la très sélect école privée d'Arlinghurst.

Une école dans laquelle celle qui préférerait qu'on la surnomme Mori que Bancroche ou Coco (en raison du nom à consonance d'Europe de l'Est du nom de son père) ne se sent pas vraiment à sa place. Alors, elle fait en priorité ce qu'elle fait depuis toujours ou presque : elle lit. Et le mot boulimie est faible pour qualifier la quantité de livres qu'elle est capable de dévorer.

Pas n'importe quels livres, d'ailleurs, car, si elle lit à peu près de tout en fonction de ce qui lui tombe sous la main, elle est d'abord une passionné de littératures de l'imaginaire, science-fiction en tête. Mais elle ne rejette pas la fantasy, Tolkien étant un de ses auteurs préférés, en particulier pour "le Seigneur des Anneaux" qu'elle relit souvent.

Au milieu des petites filles modèles issues de riches familles, Morwenna ne fait pas figure de paria, mais elle est clairement à l'écart, solitaire et renfermée, ayant peu d'amies. Il faut dire que, à Arlignhurst, les activités sportives occupent une place importante aux côtés des études, et avec son handicap, Morwenna ne peut s'y joindre.

Elle ne le regrette pas forcément, car elle préfère les mondes imaginaires aux joutes sportives. Mais, ce temps que ces exemptions lui laissent contribue également à la laisser dans son coin. Qu'à cela ne tienne, Morwenna a su se créer un monde à elle, depuis longtemps. Un monde qu'elle partageait avec sa jumelle et dont elle est désormais la seule habitante.

Un monde dans lequel elle croise des fées, avec qui elle essaye de dialoguer, même si ces fées-là n'ont rien à voir avec celle que l'on a l'habitude de croiser dans les livres ou dans les dessins animés façon Disney. Elles sont difficiles à comprendre, plus rétives que curieuses et fuient par-dessus tout la douleur, qu'elles ressentent avec force.

Mais il n'y a pas que des fées. Aux côtés de Morwenna, on croise aussi des fantômes et des sorciers, dans des situations qui peuvent même devenir inquiétante. Car, à l'image de Mori elle-même, c'est un univers assez sombre et tourmenté qu'elle nous fait découvrir, à travers le journal intime qu'elle a commencé à rédiger à son arrivée à Arlinghurst.

"Morwenna", c'est donc la nouvelle vie d'une adolescente meurtrie dans son corps et dans son âme, sans doute un peu perdue, déboussolée et incertaine, dans un contexte très différent de celui qu'elle a toujours connu. Mais, c'est aussi le tournant de son adolescence, une sorte de balance vers une nouvelle ouverture au monde.

En effet, si l'on suit au quotidien la vie scolaire de la jeune fille, on découvre également sa vie extra-scolaire, qui va bientôt trouver un point culminant : la rencontre avec un bibliothécaire qui va la convier à un groupe de lecture composé d'amateurs de SF. Enfin, un cercle dans lequel Morwenna se sent plus à l'aise, plus confiante...

Je lis sur ce roman quasiment tout et n'importe quoi. Si vous attendez un roman plein d'actions, de scènes spectaculaires et de suspense, il est clair que ce roman n'est pas fait pour vous. "Morwenna" est typiquement un roman initiatique doublé d'une quête intérieure. La vie de la jeune héroïne n'est pas toujours palpitante, mais parce que ce n'est pas le but de cette histoire.

Il y a quelque chose de terriblement émouvant chez Morwenna. Oh, bien sûr, on peut lui trouver un petit air supérieur, voire hautain, mais comment aussi ne pas voir dans cette attitude un moyen de se défendre, une carapace soigneusement élaborée pour camoufler les douleurs intenses qui la tenaillent depuis l'accident.

On plonge dans la vie de Morwenna en se demandant, page après page, si ce que l'on lit est à prendre au pied de la lettre ou si elle laisse filer son imagination. A moins, dernière hypothèse, que ce soit une autre conséquence de son traumatisme, une fuite dans l'imaginaire qui finit par imprégner son existence. A chacun son opinion, là-dessus, en fonction des indices distillés par Jo Walton.

Morwenna est nourrie de lectures d'imaginaire. Elle a une large connaissance de l'âge d'or anglo-saxon de la SF, Delany, Silverberg, Le Guin, Zelazny, Heinlein, et tant d'autres, dont les livres émaillent son récit au gré des lectures, des discussions, des échanges de l'adolescente. Franchement, elle m'impressionne par l'étendue de sa culture dans ce domaine, qui ne fait que ressortir de manière plus flagrante encore mes propres lacunes !

Ce qui aurait pu la mettre au ban, et ce qui en fait tout de même une élève à part à Arlinghurst, où personne ne partage sa passion, va s'avérer être un formidable moyen de socialisation, lorsqu'elle va participer régulièrement au groupe de lecture. Des amitiés vont se nouer, bien plus fortes et sincères qu'au pensionnat.

Et, petit à petit, on assiste au passage de l'enfance à l'âge adulte de Morwenna. Oh, certainement, c'est un processus plus long que la période relatée dans le roman, et qui est assez brève, quelques mois à peine. Mais, le fait est là : voilà ce qu'est "Morwenna", un formidable roman sur cette période si particulière de la vie.

Il y a vraiment l'impression d'une éclosion. La petite fille du début du roman n'existe plus à la fin, laissant vraiment la place à une jeune femme en devenir. Cela vaut pour son corps comme pour son esprit, mais plus encore pour la place qu'elle occupe dans sa propre existence. Elle gagne en assurance, elle se détache de son passé pour entamer un autre chapitre.

Il y a un déclencheur, dans ce roman, c'est le drame, la mort de sa jumelle. Il va lui falloir surmonter cela. Au passage à l'adolescence, s'ajoute donc ce terrible deuil, mais aussi la rancoeur tenace que Mori entretient envers sa mère... Voilà l'équation qui est au coeur du roman et donc, du journal intime de Morwena : deuil + complexes + solitude + adolescence.

Je me suis posé énormément de questions tout au long de ma lecture, jusqu'au fin mot de l'histoire, dans les dernières pages du livre. Une scène magnifique, puissante, très visuelle aussi, peut-être d'ailleurs, ce que certains lecteurs auraient voulu voir tout au long du roman. Cette scène, évidemment, je ne vais pas vous la raconter, mais elle résume tout le livre et tout le cheminement de Morwenna.

Cette scène m'a marqué et profondément touché. Il faut faire la part des choses entre le côté littéraire et imaginaire de l'affaire pour s'intéresser à ce que cette histoire nous dit du mal-être adolescent et de ses affres. Le personnage de Morwenna, c'est un peu l'anti-Harry Potter. Arlinghurst n'est pas Poudlard, même si Mori croit en la magie et au merveilleux.

Les fées, les sorciers, la magie, tout cela compose un jardin secret pour l'adolescente alors que, autour d'elles, ses camarades ont tous des préoccupations bien différentes. Et ce monde si particulier dans lequel évolue possède une passionnante ambiguïté qui fait que, tout au long du livre, on ne cesse de se demander s'il est réel ou non...

Plus que Harry Potter, c'est à Alice que Morwenna m'a fait penser. Une Alice qui aurait grandi, la petite fille étant devenue adolescente, et les lectures enfantines ayant laissé la place à la science-fiction et à la fantasy. "Nous pensions vivre dans un paysage de fantasy, alors qu'en fait nous vivions dans un décor de science-fiction", écrit-elle d'ailleurs (même si je sors un peu la citation du contexte).

Mais c'est comme si Morwenna avait fini par plonger dans une de ses lectures pour construire son petit monde à elle, celui où elle se sent le mieux, le moins mal, dira-t-on. Qu'elle soit consciente ou non de ce décalage ou que ce qu'elle traverse soit la réalité, qui suis-je pour dire le contraire, elle puise dans la littérature le merveilleux qui manque cruellement à son existence.

Oui, Morwenna, c'est une Alice plongeant dans un univers sombre et mystérieux. Bien sûr, celui de Lewis Carroll l'est aussi, même si on en garde peut-être en tête des images issues des adaptations et qui atténuent un peu ce sentiment. L'univers de Jo Walton l'est réellement. Pour moi, "Morwenna" est d'ailleurs un roman nocturne, marqué par l'obscurité, et son personnage est en quête de lumière.

Cette atmosphère très particulière, aussi envoûtante qu'elle peut se révéler parfois angoissante, est, à mes yeux, un des grands points forts du roman de Jo Walton. C'est là que réside sa véritable puissance, qui nourrit le personnage de Morwenna, lumineuse, mais en clair-obscur, jusqu'au dénouement de ce récit, à l'issue duquel elle ne sera plus jamais la même.

J'ai ressenti beaucoup d'émotions lors de cette lecture. De l'empathie, bien sûr, mais aussi beaucoup de souvenirs du garçon souvent solitaire que j'étais à l'adolescence et pour qui la lecture était un bon moyen de s'échapper un peu à la routine quotidienne. C'est, j'en suis sûr, un roman dans lequel chaque lecteur peut retrouver des éléments qui le renverront à sa propre expérience.

Et puis, il y a, comme d'ailleurs le présente parfaitement la couverture de l'édition Folio, signée Sam Van Olffen, au coeur de ce roman, une véritable bibliothèque de référence pour ceux qui voudraient se lancer à la découverte des classiques de la SF. Idéal pour stimuler, alimenter son propre imaginaire, ce que fait également parfaitement "Morwenna".

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