lundi 31 juillet 2017

"Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : polissez-le sans cesse et le repolissez ; ajoutez quelquefois, et souvent effacez" (Boileau).

Le temps, cet éternel mystère que l'on ne parvient toujours pas à comprendre... Voici un "vieux" roman, dont la durée de vie est assez extraordinaire. Paru en 1988 pour sa première version française, il continue à être lu et relu par différentes générations. Et peut-être a-t-il même inspiré certains romans plus récents, qui sait ? Pourquoi un tel attrait ? Parce qu'il pose une question qui nous fascine tous : que ferais-je si je pouvais recommencer ma vie ? Ce n'est pas le seul intérêt de "Replay", de Ken Grimwood (en poche chez Points Seuil, traduction de Françoise et Guy Casaril), qui plonge son personnage central dans une situation inexplicable, sans aucun mode d'emploi, sans aucune raison rationnelle apparente. On est dans un roman fantastique, aux limites de la science-fiction, car on joue aussi avec l'uchronie, mais on est surtout dans une quête impossible, celle d'une existence idéale. Un roman captivant, inquiétant par moments, dont on ressort avec mille questions en tête. Sur sa propre existence, son propre avenir...



Le mardi 18 octobre 1988, Jeff Winston est mort. A 13h06, alors qu'il est en pleine conversation téléphonique avec sa femme, Linda, il sent son coeur s'arrêter. Le stress d'une vie professionnelle au point mort, d'une vie conjugale dans l'impasse. Ce n'est pas que leur couple soit malheureux, mais il est incomplet, fragilisé par l'absence d'un enfant.

Jeff Winston est donc mort, à seulement 43 ans... Il en est certain, cette douleur, cette sensation que tout s'arrête brusquement. Et pourtant, le voilà qui rouvre les yeux. Autour de lui, rien de ce qu'il a quitté quelques instants plus tôt. Il y a de quoi être dérouté, remarquez, lorsqu'on vient de se voir mourir. Mais, là, sa perte de repères s'explique par autre chose.

Le temps de revenir de sa stupeur et l'évidence s'impose à Jeff : il n'est pas mort, mais il est revenu 25 ans en arrière ! Le revoilà dans la peau de l'étudiant qu'il était, sur le campus d'Atlanta, aux côtés de sa petite amie de l'époque. C'est complètement dingue ! D'autant qu'il se souvient parfaitement de sa... vie d'avant ?

Oui, il a de nouveau 18 ans, mais il garde le souvenir clair de tout ce qu'il a fait jusqu'au 18 octobre 1988, jusqu'à sa... mort ? Désemparé, on le serait à moins, Jeff essaye de comprendre ce qui lui arrive tout en recommençant cette période décisive de sa vie, celle des choix, celle qui conditionne sa vie d'adulte.

Doit-il tout recommencer comme avant, au risque de retrouver cette vie insatisfaisante qui était la sienne, mais aussi celle de Linda, ou bien doit-il tout faire différemment ? Doit-il profiter de sa connaissance du... futur ? pour améliorer sa situation et, pourquoi pas, celle du monde, tant qu'il y est ? Doit-il devenir quelqu'un d'autre ?

Et que se passera-t-il, le 18 octobre 1988 de cette nouvelle vie ? Refermera-t-il une parenthèse de 25 ans ou bien mourra-t-il encore ? Qu'adviendra-t-il, après ce... nouveau décès ? Plongera-t-il dans le néant ou bien repartira-t-il pour un tour gratuit, comme si ça vie était un manège dont il serait incapable de descendre ?

Ah, pas évident de parler de ce livre... Commençons par le début, alors. Le choix que va faire Jeff, une fois revenu en 1963. Peut-être le bête réflexe que nous serions nombreux à avoir : changer complètement de vie en profitant de son savoir... quasi médiumnique. En pariant sur des résultats sportifs dont il se souvenait, il amasse une véritable fortune et monte un empire industriel.

Mais, est-ce vraiment la recette du bonheur ? La richesse, le pouvoir, qui plus est acquis de manière assez contestable sur le plan moral, peuvent-ils conduire à ce mystérieux bonheur que nous recherchons tous, sans savoir exactement à quoi il peut bien ressembler ? Se fourvoie-t-il, en agissant ainsi, n'exprime-t-il qu'un penchant très humain ?

Ou bien, expérimente-t-il ?

A l'image de Jeff, le lecteur se pose de nombreuses questions. S'il y a bien une histoire où l'on essaye de se mettre à la place du personnage principal, c'est bien celle-là : et nous, comment agirions-nous si on nous... rendait ? 25 ans, si on nous... offrait ? la possibilité de reprendre notre vie, peut-être pas à zéro, mais de reconstruire notre vie d'adulte.

Comme Jeff, le lecteur avance dans l'inconnu, en ce demandant ce que lui réserve ce nouvel avenir, cette nouvelle vie. On l'observe, un peu choqué de le voir choisir la voie de l'utra-richesse, mais aussi de la solitude qui va avec. Car l'argent n'achète pas tout... Alors, après la vie conjugale inaboutie, après la fortune tombée du ciel ou presque, Jeff aura-t-il une nouvelle chance ?

On se retrouve quelque part entre "Un jour sans fin" et "Retour vers le futur", deux comédies devenues des classiques autour du retour en arrière, des choix qui se présentent à nous de changer, en mieux si possible, sa propre existence. Sauf que "Replay" n'a rien d'une comédie et que le jeu avec le paradoxe temporel n'a rien d'amusant.

Oh, si, peut-être un temps, mais ensuite, les questions existentielles reviennent au galop et Jeff est confronté à cette situation absurde d'une vie qui recommence, comme si on lui disait : "erreur. Essaye encore". Comme si on lui faisait comprendre qu'il pouvait faire mieux, qu'une autre vie était possible. Une vie... meilleure ?

Je ne vous mets pas tous les éléments en main, parce que si "Replay" n'est pas tout à fait un thriller, il faut reconnaître que ce que va traverser Jeff fait naître une tension. On plonge vers l'inconnu et la vie devient une sorte de jeu éducatif où l'on essaye différentes choses, où l'on vit différentes existences imparfaites, où l'on commet des erreurs d'appréciation, où l'on corrige le tir...

On pourrait gloser longuement sur ce que vit Jeff, lui-même, d'ailleurs, le fait, au cours de ses différentes existences : quelle entité supérieure est-elle à l'oeuvre ? Est-il le jouet d'une divinité aux méthodes particulières, d'extraterrestres procédant eux aussi à des expériences sur un cobaye humain, d'un phénomène inexplicable, d''une absurdité totale, qu'il ne faut pas chercher à comprendre ?

Allez, allons au bout du raisonnement : et si ces "replay", ces vies recommencées étaient une allégorie de la crise de la quarantaine, de ces moments où, parce que rien ne va, ni à la maison ni au boulot, on s'interroge sur la suite à donner ? Jeff n'imagine sans doute pas ce qui lui arrive, certains éléments tendent à montrer qu'il vit bien ce curieux tourbillon...

Mais que se passera-t-il quand la boucle sera vraiment bouclée ? Arrivera-t-il un 18 octobre où le processus s'achèvera ? Sera-ce le jour de sa mort, la fin de tout... Ou bien le premier jour du reste d'une vie nourrie par de multiples expériences, de multiples erreurs de parcours, aussi ? Ah, oui, pourquoi tout ce cirque si c'est pour s'arrêter brusquement à 43 ans, en pleine conversation téléphonique ?

"Replay", c'est un peu la version déjantée, troublante, flippante, de la maxime rabelaisienne "Fais ce qui te plaît". Mais, avant cela, il faut... se planter grave ? Souffrir ? Faire souffrir, aussi ? Que la vie est déjà compliquée sans ces circonvolutions ! Alors, imaginez les mille et unes possibilités qui se présentent à Jeff, sans qu'il sache qu'elle est... la bonne ? La moins mauvaise ?

Ah, oui, c'était dit dans l'introduction, ce billet est placé sous le signe du point d'interrogation ! Et de la métaphysique, ah, j'ai lâché le grand mot, diantre ! La force de "Replay", c'est d'être un roman captivant, porté par une imagination débordante, mais qui nous interroge aussi profondément sur nos propres choix, nos propres priorités. Nos regrets, peut-être aussi, qui en sortent relativisés (enfin, j'espère).

Lorsqu'on attaque "Replay", on se dit que Stephen King a dû lui aussi lire ce roman avec attention. La première partie du roman de Ken Grimwood contient en effet pas mal d'idées qu'on retrouve dans "22/11/1963". Les deux histoires divergent rapidement, mais c'est vrai que l'on est frappé de ces points communs... L'inspiration, tout ça... Une voie aussi impénétrable que celles du Seigneur...

D'autant que les mécaniques romanesques sont presque complètement opposées, Stephen King affirmant que "le passé ne veut pas être changé" et que ce n'est pas la solution pour parvenir à un avenir meilleur. Grimwood, lui, envisage le futur comme le fruit de plusieurs expériences, plus ou moins réussies, où l'on modifie et ajuste le passé...

Deux éléments sont venus ajouter à mon trouble, à mes questionnements. La première, c'est que les dernières pages, non je n'en dirais pas plus, se déroulent en 2017... Ce livre a près de 30 ans, je l'ai dans ma bibliothèque depuis un bon moment, déjà, et je choisis justement de le lire en 2017 ! Bon, coïncidence, ok.

Mais j'ai 43 ans, le même âge que celui de Jeff lorsqu'il meurt, et repart en arrière... Je ne suis pas très pressé d'arriver au mois d'octobre prochain, dites donc... Ou alors, je couperais le téléphone... D'ici là, je m'en vais méditer sur le garçon que j'étais à 18 ans, et ce que je faisais alors... Sur ce que je pourrais changer, améliorer...

Je prends peut-être cette lecture un peu trop à coeur, non ? Je me mets peut-être un peu trop dans la position de Jeff... Tout cela ferait un passionnant point de départ pour une conversation avec Ken Grimwood, ne trouvez-vous pas ? Sauf que c'est impossible : il est décédé en 2003, alors qu'il travaillait sur une suite à "Replay"...

Troublant, vous avez dit troublant ?

1 commentaire:

  1. T'inquiète, on va guetter tes billets d'octobre et si tu ne donnes plus signe de vie... on saura ! Incroyable coincidence tout de même, fais gaffe ;)
    Blague à part le sujet est connu, mais les petits plus que tu présentes donnent envie de lire ce récit. Pourtant j'en ai vu des films sur ce thème. C'est le fantasme du commun des mortels

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