dimanche 4 mars 2018

"Je dois survivre (...) Survivre, mener ma tâche à bien, et tant pis pour le reste. Tant pis si le prix me coûte. Tant pis si je souffre encore. Il y a tellement plus essentiel !"

Tout d'abord, pardon. Pardon, parce que nous allons parler d'un livre que j'aurais dû évoquer sur le blog depuis longtemps. Pardon, parce que cela fait des semaines que je l'ai lu et que je fainéante. Enfin, en ce dimanche pluvieux, je me remue et je me décide à parler de ce roman, deuxième volet d'une saga de fantasy riche et portée par des personnages très intéressants. Après "Source des tempêtes", premier tome du "Livre de l'énigme", Nathalie Dau nous présente dans "Bois d'Ombre" (en grand format aux Moutons Electriques), la suite des aventures de Cerdric et Ceredawn, deux frères aux destins sensiblement différents. L'un que l'on peut qualifier d'ordinaire, en regard de celui de l'autre, qui s'annonce exceptionnel. Mais, l'exception n'est pas de tout repos et les dangers qui guettent Ceredawn sont nombreux. Et ce deuxième tome, c'est la perte de l'innocence, de la candeur, pour un garçon qui entame une mue. Avant, sans doute, d'autres épreuves...



Pour survivre face à la haine virulente qu'on leur vouait, les demi-frères, Cerdric, le plus âgé, et Ceredawn, qui n'est encore qu'un enfant, ont fui. Ils ont mis de la distance entre eux et le danger incarné par Nérasia, la mère de Cerdric, mais ils n'ont pas pris n'importe quelle direction : ils se sont rendus à Atilda, la capitale de l'Empire Sadare.

Plusieurs raisons à cela : d'abord, dans une ville aussi grande, bien plus que ne l'est Cassegrume, d'où ils viennent, on a plus de chance de passer inaperçu. Ensuite, parce que se trouve dans cette cité un établissement qui pourra prendre en charge Ceredawn et l'aider à faire prospérer ses dons exceptionnels, cette magie phénoménale qui semble l'habiter.

Cet endroit, c'est un séminaire, dans lequel les enfants ayant manifesté un don magique, sont formés. On leur apprend à travailler leur don, à faire grandir leur drac et sa puissance, à devenir des êtres d'exception pouvant occuper ensuite des rôles très importants dans la société. Mais, même au milieu de cet aréopage, Ceredawn se démarque...

Et une nouvelle fois, ce sont ces origines qui sont problématiques. Des origines que la couleur bleue de son drac trahit : il est le fils de Kéral, un des derniers Mages Bleus à avoir survécu à l'Eradication. Depuis, Kéral a son tour a disparu, mais Ceredawn se retrouve à porter ce flambeau, ce fardeau, et à devoir vivre avec.

Le séminaire d'Atilda, c'est un long cursus. Ceredawn n'est qu'un radicelle qui va, pendant plusieurs années, devoir apprendre, se former, dans un but bien précis : affronter, en guise d'examen final, le Bois d'Ombre, ses dangers et ses secrets, un endroit dont le nom fait frissonner chaque séminariste, car peu nombreux sont ceux à en être revenus...

 Pendant que Cerdric se lance à la recherche d'un travail qui lui permettra de financer les études de son jeune frère, Ceredawn découvre cet univers si différent de ce qu'il a connu jusque-là. L'enfant naïf, angélique, gentil et toujours de bonne composition, va se retrouver dans un environnement où cette personnalité, comme ses origines, est tout, sauf un atout.

Dès son arrivée, Ceredawn va devenir a cible du Grand Maître du séminaire, Ninnos, dit l'Omniscient. Un personnage trouble, violent, tyrannique, qui ne va pas ménager le jeune garçon et même le soumettre aux pires traitements imaginables. Le radicelle, qui doit dissimuler sans cesse la couleur bleue de son drac et peine à se plier à la stricte discipline du séminaire, doit encaisser ces injustices.

Cette maltraitance, qui va aller très loin, soyez prévenus, Ceredawn décide de la garder pour lui, d'assumer sa position sans alarmer Cerdric qui, de son côté, a réussi à s'installer à Atilda et à poser les bases d'une existence, autour d'un emploi de forgeron qui lui convient parfaitement. Mais, le jeune garçon vit l'enfer, et c'est tout son comportement, son caractère qui s'en ressent...

"Bois d'Ombre", c'est un tome qui couvre la durée de cette scolarité, avec, en parallèle, la vie des deux frères, dans des contextes très différents. Si Cerdric s'installe dans une vie tranquille, ce qui ne veut pas dire forcément idéale et parfaitement heureuse, Ceredawn, lui, grandit, mûrit dans un environnement hostile, la révolte et la rébellion au coeur, jusqu'à commettre des actes très durs à son tour.

Si "Source des tempêtes" était très centré sur Cerdric, "Bois d'Ombre" est clairement axé sur Ceredawn et sur cette entrée dans l'adolescence qui va sceller son destin. Sa situation, jusque-là, ne l'effrayait pas, ne l'inquiétait pas. L'insouciance du garçon était frappante, troublante dans le premier tome, tant elle contrastait avec l'univers tourmenté et hostile dans lequel il évoluait.

Mais, là, il découvre une autre forme de violence qui vient le frapper de plein fouet et qu'il ne comprend pas. Oh, pas besoin d'évoluer dans un univers de fantasy, pour cela : Ceredawn est un enfant maltraité, violenté, soumis à un traitement d'une cruauté terrible de la part de Ninnos, et cela va tremper son caractère. L'obscurcir, aussi.

Je dois avouer que je restais sur l'image de ce gamin plein de vie et insouciant, je le retrouve affrontant l'arbitraire et l'horreur, et y réagissant comme il peut. Une révolte qui n'est pas frontale, mais qui va le pousser à adopter des comportements qu'il regrettera parfois. Mais, surtout, qui auront des conséquences sur la suite de ce cycle (mais ça, ce sera à vous de le voir).

Ceredawn est à la fois une abomination (le mot est en quatrième de couverture, je ne l'invente pas) et un être qui nourrit, bien malgré lui, la concupiscence et la convoitise de l'Omniscient, personnage terrifiant dont on va, petit à petit, découvrir les ambiguïtés et la situation plus complexe qu'une "simple" monstruosité.

Les titres des trois parties de ce roman ne peuvent être plus explicites : "lutter", "survivre", "déployer". Lutter, un état d'esprit que découvre Ceredawn, qui a grandi à l'écart du monde, dans une espèce de cocon, bien protégé pour lui éviter d'être traqué ; "survivre", parce que, à un certain point de ce processus, il serait tentant de renoncer ; "déployer", parce que, malgré tout, Ceredawn reste un être d'exception, détenteur d'un pouvoir extraordinaire.

La découverte de ce pouvoir, qu'il ne méconnaissait pas, mais qu'il n'envisageait pas comme il le fait dans "Bois d'Ombre", est aussi un des éléments forts de ce roman. Parce qu'il est à double tranchant, parce qu'il fait de lui cette abomination qu'on pourrait vouloir faire disparaître, mais aussi parce que son potentiel est tout simplement incroyable, inédit, peut-être.

On voit bien que ce deuxième tome, souvent délicat dans une trilogie, car il assure la transition du lancement du cycle vers sa conclusion, fait franchir à l'un de ses personnages centraux une étape majeure. Au prix de son innocence, c'est vrai. Et la question de l'avenir de Ceredawn se pose, un peu à l'image d'un Anakin Skywalker dans la prélogie de "Star Wars".

Cerdric, lui, reprend son rôle de grand frère, de tuteur, de protecteur, du moins sur un plan matériel, puisque, pour le reste, il pense déléguer la formation de Ceredawn au séminaire, sans imaginer une seule seconde l'enfer que son demi-frère va vivre. J'avais qualifié ce personnage de naïf dans le billet sur le premier tome, hélas, ça se confirme, pour le pire...

Il ne s'agit pas d'accuser Cerdric, le pauvre, au contraire, c'est un homme dévoué et sincère et il est certain que, s'il avait su, il ne serait pas resté sans rien faire. Mais, il ne s'est douté de rien... Lui entre dans une vie bien différente de celle qu'il aurait pu attendre. Né dans un milieu aristocratique, il est un héritier rejeté par sa mère et c'est dans une vie paisible d'artisan qu'il va finalement s'épanouir.

J'aime bien ce personnage qui a pour lui cette simplicité de bon aloi. Il sait se contenter de ce qu'il a, ce n'est pas un extraverti, mais quelqu'un de discret (et pas seulement parce que sa situation de fugitif l'incite à la discrétion). Il aspire à la tranquillité, à la paix, il aime son métier de forgeron et il se contente aussi de l'amour qui lui est donné par Myrinielle, l'une des filles de son patron.

A propos de Cerdric aussi je m'interroge : il n'est clairement pas de la même étoffe que son demi-frère et la situation dans laquelle ils se retrouvent au cours de ce deuxième volet l'affecte forcément. Comment va-t-il évoluer, comment sa relation avec Ceredawn va-t-elle évoluer ? Il est possible que ce soit un des forts enjeux du troisième tome.

Autour des deux garçons, on trouve quelques seconds rôles très importants, tant pour ce tome-ci que pour le suivant. J'ai déjà évoqué Ninnos, ce Grand Maître au comportement écoeurant, sordide, qui va s'en prendre au pauvre Ceredawn et ne plus le lâcher. Pourtant, il ne faudrait pas le prendre comme un personnage monolithique, il est plus complexe que cela.

Les raisons de cette complexité, je ne vais pas les évoquer ici, eh non, forcément, ce sont des éléments qu'il vous faudra découvrir au fil de votre lecture. Ces éléments ne le dédouanent pas totalement de ses actes, mais les éclairent d'un jour différent. Comme depuis le début du cycle, on comprend que, autour de Cerdric et plus encore de Ceredawn, des forces occultes sont à l'oeuvre...

J'ai aussi parlé de Myrinielle, qui devient la compagne de Cerdric, tout en entretenant avec Ceredawn une relation qui semble parfois ambiguë : "Harmonie, complicité, fascination réciproque", dit le texte pour qualifier ce lien qui unit la jeune femme et le garçon. Autant de mots qu'on peut vite interpréter de travers, ou qui peuvent facilement donner prise à la rumeur...

Si vous me permettez l'expression, Myrinielle n'a rien d'un oie blanche. On découvre son parcours, sa vie d'avant sa rencontre avec Cerdric et l'on comprend, là encore au fur et à mesure, que rien n'a été facile pour elle et qu'il y a des blessures qui ne guériront jamais. Sa chance, c'est justement de tomber sur un homme, Cerdric, capable de s'accommoder de tout et de ne pas la juger.

Mais, elle se retrouve aussi dans cette position particulière entre les deux frères, qui laisse présager quelques turbulences... Myrinielle fait aussi partie de ces personnages dont on ne situe pas complètement le rôle dans ce cycle. Comme la plupart des personnages qui gravitent autour des deux frères, difficiles de dire avec certitude comment ils interagiront avec eux...

C'est aussi le cas d'Isgarinn. Comme Ceredawn, c'est un radicelle, mais, lui appartient à une famille noble et son statut est donc différent de celui du garçon au drac bleu. Mais c'est aussi un garçon timide, sensible, perdu dans cette académie, isolé et angoissé. Ceredawn et lui vont devenir des amis inséparables, jusqu'à enfreindre les règles en vigueur au sein du séminaire.

Là encore, difficile de ne pas parler d'ambiguïté dans leur relation. Amitié, tendresse, et sans doute un peu plus, on est à l'âge des premiers émois et il semble certain que la prévenance de Ceredawn envers Isgarrin a entraîné chez ce dernier des sentiments bien plus forts, et du désir également. Une relation qui ouvre des réflexions sur un thème central du roman, que nous évoquerons un peu plus loin.

Il y a quelque chose de paradoxal à voir Ceredawn s'ériger ainsi en protecteur d'Isgarinn, car on le connaissait lui-même très protégé, et surtout, il agi ainsi alors que, au même moment, il souffre du traitement que lui inflige Ninnos. Cette amitié, c'est aussi ce qui l'aide à tenir, il y puise un apaisement nécessaire. Mais c'est aussi une forme de révolte face à cet ordre qui le maltraite.

Enfin, un mot sur Mabève. Rien de plus qu'un mot, je ne vais même pas remettre ce personnage dans son contexte. Pourquoi ? Parce que son apparition dans l'histoire est tout à fait inattendue et son rôle très particulier. Surtout, parce qu'on peut aisément imaginer qu'elle sera un personnage bien plus important dans le troisième tome et qu'elle en sera un élément problématique...

Globalement, j'ai trouvé la tonalité de ce deuxième tome plus sombre que le premier. Il plane au-dessus de lui une impression de menace qui est d'autant plus oppressante qu'elle est bien moins clairement définie que celle qui présidait au premier volet. Là, il y a des éléments cachés, des personnages occultes, des ambitions camouflées et les révélations qui vont survenir ne suffisent pas à lever toutes les interrogations.

Surtout, il y a cette mue du personnage de Ceredawn qui a de quoi inquiéter. Non pas que je veuille à tout prix qu'il reste un personnage unidimensionnel, gentil et puis c'est tout, non, mais parce que le pouvoir qu'il détient et les coups qu'il encaisse, physiquement comme moralement, pourraient entraîner des réactions aux terribles répercussions.

C'est vraiment un deuxième tome, et un deuxième tome qui n'est pas juste une transition, mais bien un vecteur d'équilibre. Il y aura dans le troisième tome un basculement, mais on ignore encore dans quel sens. Et ce qui vaut pour Ceredawn vaut aussi pour Cerdric, au point de se demander ce qu'il va advenir de leur relation, si forte, si étroite, si bienveillante jusque-là.

Une ambiance plus sombre, et pourtant, la couleur, les couleurs restent un élément très important, je crois que j'en avais déjà parlé précédemment. Nathalie Dau est peut-être une des romancières qui prête le plus d'attention à cet élément, qui n'en fait pas juste un élément de décor ou de description, mais bien un instrument de son histoire.

Ces couleurs, on les retrouve dans l'aile des couleurs, ce moyen de transport magique bien pratique, mais aussi et surtout, dans les dracs des personnages ayant accès à la magie. Le drac, c'est une espèce d'aura qui se déploie et dont la couleur est une indication sur celui qui la révèle. Le drac de Ceredawn est bleu, couleur honnie qu'il doit masquer, mais pas un bleu quelconque, non, un bleu aussi puissant que le pouvoir qu'il recèle.

Cela donne une touche spectaculaire, impressionnante, même parfois, on a presque envie de fermer les yeux comme si on était ébloui, aveuglé, mais c'est aussi un indicateur, une espèce de baromètre. Le drac de Ceredawn évolue lui aussi au fil du récit et son éclat change comme si son éclat se modifiait en même temps que le caractère du personnage...

"Bois d'Ombre", comme tout ce cycle, est un roman qui pose également la question de la différence. Qu'elle soit dans l'orientation sexuelle, dans la condition des femmes ou dans l'origine raciale, cette question se pose en permanence au cours de cette histoire. Et souvent, en lien avec Ceredawn, qui semble être un révélateur, quand il n'est pas directement concerné.

Et il l'est : il est à moitié rive, peuple méprisé, asservi, rejeté, persécuté. Pour la majorité des gens, ce sont moins que des humains... Et voilà donc qu'à son drac bleu, Ceredawn ajoute cette origine délicate... On ne peut pas dire qu'on lui facilite l'existence. Mais, le paradoxe, c'est qu'un rive n'a pas de drac, contrairement à Ceredawn qui en possède un d'une puissance inédite...

Nathalie Dau dénonce ce rejet dû à la race et, pour que cela nous frappe, elle renverse les codes habituels : les rives ont un physique qui rappelle ce que notre monde aurait tendance à idolâtrer, traits fins, chevelure d'un blond brillant, phosphorescent, même... Tout est vraiment fait pour que Ceredawn, le paria, ne puisse pas passer inaperçu...

Et c'est aussi ce message de tolérance qu'on retient de cette lecture, d'appel à respecter l'autre quel qu'il soit. Le pauvre Ceredawn, qu'on a sorti de sa bulle protectrice, se retrouve donc dans ce monde agressif, violent, brutal, impitoyable, dans lequel il doit se faire une place, coûte que coûte. Et, peu à peu, endurci par toutes ces adversités, Ceredawn entrevoit son destin...

Un destin (sacrificiel ?) qui se nouera définitivement dans le troisième tome.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire